[Tribune] La présence en ligne d'une entreprise n’est pas la panacée, encore moins une solution miracle pour sortir d'une situation de crise. Rechercher à tout prix et sans prendre de hauteur un projet de digitalisation pourrait même s’avérer dangereux.
Halte au tout digital, à la suprématie d’internet, au règne du click et du e-commerce. On ne compte plus le nombre d’entreprises qui se lancent, tête baissée, dans un projet de digitalisation, certaines dans l’optique de faire comme le concurrent. D’autres le font pour répondre aux injonctions de notre société qui ne jure désormais que par le virtuel. D’autres, encore, par simple vanité personnelle. Parce qu’il est toujours valorisant de pouvoir afficher une jolie vitrine qui chante les louanges de son activité, quand bien même serait-elle dématérialisée.
Bien sûr, une présence en ligne s’avère utile pour développer une activité commerciale (prestation de service, hôtellerie et restauration, vente de produits…). Elle n’est toutefois pas toujours nécessaire et peut même se révéler dangereuse. A défaut d’accompagnement stratégique sur la question, certaines entreprises s’enlisent dans un projet de digitalisation mal ficelé, mal pensé, mal piloté. La perte de temps (et d’argent) qui s'ensuit n’est bien souvent pas négligeable, surtout pour les petites entreprises.
La vraie vie et le bon sens
Les ayatollah du digital oublient bien souvent un élément, un détail qui a toutefois son importance : le réel, la vraie vie, et le bon sens. Non, le digital n’est pas toujours la meilleure solution pour faire connaître son activité et se développer. En e-commerce, les places sont chères. Seule une poignée d’établissements «remontent» en première page de Google. Comment peut-on espérer être visible, avoir des «e-clients», lorsque l’entreprise n'apparaît qu’en troisième ou quatrième page du moteur de recherche ?
Prenons l’exemple d’un producteur de vin qui souhaite développer son activité. Sur la Toile, il sera confronté à des géants du secteur, des mastodontes comme Nicolas, Cash Vin, Dock du Vin… Difficile, voire impossible, dès lors, pour ce producteur de tirer son épingle du jeu en ligne. S’il souhaite faire connaître sa marque et son produit, mieux vaut établir avec lui, et pour lui, une stratégie à son échelle, par exemple autour de petits événements physiques et de proximité (stand sur des marchés, présence dans des salons…). Et s’il parvient à développer son chiffre d’affaires et à fidéliser sa clientèle, alors il pourra envisager sereinement une stratégie e-commerce, adaptée à son activité et à sa cible. En effet, les clients fidélisés sur les marchés seront les premiers à naviguer sur le site du producteur et donc, les premiers à acheter en ligne.
La logique est la même pour les petits commerçants, notamment dans l’univers du prêt-à-porter. Comment des boutiques de quartier peuvent-elles se démarquer sur internet face à des marques comme H&M, Promod, Ba&Sh, mais aussi des plateformes comme Amazon, Shein, Veepee…? Chercher une très grande visibilité en ligne n’a, dans ce cas, que peu d’intérêt. Le principal client de ce type de commerce est un consommateur local. C’est d’ailleurs parce qu’il est ultra-local que celui-ci est bien souvent très fidèle. Pour un tel commerce de proximité, la clientèle ne se fait pas en ligne, mais dans la rue. Avant de chercher une présence en ligne, il est ainsi indispensable de penser à la visibilité de la boutique. Est-elle suffisamment éclairée ? Est-elle située dans une zone passante ? Ses horaires d’ouverture sont-ils clairement affichés ? Ces questions peuvent paraître anodines mais, bien souvent, elles passent à la trappe alors qu'elles sont pourtant indispensables avant d’envisager tout chantier digital.
Se reposer sur la puissance de célèbres plateformes
Qu’en est-il pour les professions libérales, les auto-entrepreneurs et autres acteurs qui n’ont ni pignon sur rue ni objet matérialisable à vendre ? Ces acteurs doivent effectivement, d’une manière ou d’une autre, déployer leur visibilité en ligne (sauf s’ils disposent d’une solide réputation et qu’ils ont la possibilité de se développer uniquement grâce au «bouche à oreille». C’est rare, mais ça existe). Ces professions n’ont pas nécessairement besoin d’avoir leur propre site et ont la possibilité de se reposer sur la puissance de célèbres plateformes. Les kinésithérapeutes, ostéopathes, podologues… peuvent ainsi compter sur le rayonnement de Doctolib.
Ils ont la possibilité de se présenter, d’indiquer leur activité, leur mode d’exercice, leurs tarifs, et même de diffuser des photos d’eux et de leur cabinet. Il en va de même pour les restaurants, les hôtels ou les gîtes, qui peuvent très largement se présenter via des sites spécialisés comme Booking ou TheFork. Nombreux sont les établissements qui font le choix de ne pas avoir de site propre et de n’être visibles que sur ces plateformes. D’autres entreprises optent pour une solution encore plus simple et se limitent à une page Facebook ou une référence Google via une fiche d’établissement (anciennement connue sous le nom «Google my business») . Une présence a minima sur la Toile mais qui, dans certains cas, suffit à atteindre son but final : augmenter son chiffre d’affaires.
Mieux vaut ainsi, pour un grand nombre d’acteurs, une présence simple et efficace sur la Toile qu’une stratégie complexe, chronophage et coûteuse. Car oui, digitaliser son activité n’est pas une mince affaire. Elle suppose à la fois d’avoir un regard global sur le secteur, sur l’activité, sur la zone géographique, sur les objectifs commerciaux… Elle suppose ensuite de déterminer la meilleure stratégie possible. Cette stratégie prend en compte la création d’un site, mais aussi son référencement sur les moteurs de recherche. Un projet complet et, à certains égards complexe, qui suppose à la fois d’en avoir les moyens financiers et de s’entourer des bonnes personnes. Des prestataires aguerris et éclairés qui sont capables d’avoir non seulement un regard technique mais également une vision stratégique et globale. Sans cela, digitalisation pourrait bien rimer avec damnation.