Numérique
La crise sanitaire a fait venir sur les sites marchands des marques traditionnelles de nouveaux acheteurs, actant un recul relatif de la plateforme américaine. Reste maintenant à les fidéliser.

La crise du Covid-19 marque-t-elle un tournant pour le paysage français de l'e-commerce, jusqu’à présent outrageusement dominé par le géant Amazon ? Oui, si l’on se réfère aux données publiées en mars dernier par Kantar. Selon l’institut d’études, Amazon, avec un volume d’affaires estimé à 8,3 milliards d’euros dans l’Hexagone en 2020, ne progresse « que » de 8 %. Soit trois fois moins que le marché global des ventes de biens physiques, qui bondit de 24 % à 43,3 milliards d’euros. Pour les analystes de Kantar, l’une des raisons réside dans « la dynamique des click and mortars », ces sociétés qui ont développé, à côté de leurs enseignes, l’e-commerce. « Elles ont priorisé leurs sites web alors que leurs magasins étaient temporairement fermés », souligne-t-on chez Kantar. Résultat : la part de marché en valeur d’Amazon en France chute de trois points en 2020, de 22 % à 19 %, et de 19 % à 16 % si l’on englobe les grandes surfaces alimentaires.

Explosion de l’ e-commerce

La crise sanitaire a provoqué, constate Pascal Malotti, patron de la stratégie de l’agence Valtech France, « une explosion de l’e-commerce. On parlait, il y a deux ou trois ans, d’un plafond de verre. Il ne progressait que de 1 % par an. Là, en huit à neuf semaines, il a connu quinze à seize années de progression », relève-t-il. Face à cet effet « systémique », certains étaient prêts, à l’instar de Nike. « Cette marque avait déjà repris en main sa distribution en quittant Amazon et en développant ses propres outils via l’expansion de ses magasins physiques et la création d’applications mobiles. Aujourd’hui, 40% de son chiffre d’affaires provient de sa propre distribution », note Pascal Malotti. En revanche, d’autres acteurs ont été obligés de construire de manière accélérée un site d’e-commerce et de développer la logistique indispensable à une expérience utilisateur correcte. Pour tous, il n’y a plus de débat, selon lui, sur la nécessité pour les marques de développer leurs sites marchands. « Leur objectif, c’est que demain, l’e-commerce pèse entre 20 et 40% de leur chiffre d’affaires, y compris dans le luxe, pointe Pascal Malotti. Mais une fois ce constat effectué, toute une série de questions se posent : qu’est-ce que l’e-commerce peut apporter, comment recréer en ligne des artefacts du commerce physique, comment interconnecter ce dernier avec le online... », liste-t-il.

Priorité au branding

Face à des enjeux, les marques doivent trouver rapidement des réponses. Elles ont repris la main avec la crise, elles peuvent la perdre aussi vite avec le retour à la normale annoncé. Spécialiste de l’e-commerce, Émilie Franchineau, directrice associée de l’agence Carat, voit dans la nouvelle donne « une formidable opportunité », avec un enjeu de taille : « Beaucoup de nouveaux consommateurs sont venus sur les sites de marques, il faut maintenant les fidéliser », estime-t-elle. Plusieurs chantiers s’ouvrent aux annonceurs. « Le premier, c’est la marque, la marque, la marque », avance-t-elle, en expliquant que le branding est la priorité si l’on veut pérenniser son site. Mais communiquer sur sa marque ne suffit pas. Émilie Franchineau pointe la nécessité d’améliorer les parcours de conversion. « Chez Amazon, le parcours est fluide. Celui de nombre de marques n’est pas encore parfait. Elles doivent s’inspirer des marketplaces pour proposer la même expérience avec l’objectif que le client valide son panier sans quasiment s’en rendre compte », note-t-elle. Ensuite, les marques doivent développer la partie des achats d’impulsion, en s’inspirant cette fois des expériences menées sur les réseaux sociaux en matière de live shopping. Enfin, via l’omnicanalité, elles doivent aussi « réconcilier le physique et le digital », notamment en matière de données clients. Lionel Curt, président de l’agence MNSTR, porte de son côté un regard sévère sur la façon dont les marques traditionnelles abordent la question proprement dite de la vente en ligne. « Autant elles investissent à fond sur leurs contenus brand content, autant elles restent en retrait au moment de la vente elle-même », constate-t-il. Lui-même en a fait l’amère expérience quand il s’est mis en quête d’une paire de skis de randonnée sur le site de la marque Salomon, finissant par aller l’acheter en magasin tant l’argumentaire produit mis en ligne lui semblait décevant. Cette situation contraste, pour ce dirigeant, avec le modèle des digital native vertical brands (DNVB), ces fameuses marques nées sur le net qui apparaissent à ses yeux comme « des vendeurs parfaits ». Et de citer l’exemple, parmi d’autres, de la marque Asphalte. « En deux secondes, vous savez ce qui ne va pas avec les T-shirts en général, pourquoi les siens sont les meilleurs, pourquoi elle les fait fabriquer en Europe… », admire-t-il.

La qualité du site déterminante

Thomas Camille, directeur général de la marque Pataugas (Hopps Group) a conscience de ces enjeux liés à la vente en ligne. Il a lancé un nouveau site internet plus rapide et plus fluide, ajoutant notamment de nouvelles briques de paiement plus sécurisées. « Les fiches produits sont aussi beaucoup plus complètes et nous travaillons à une version plus immersive avec l’ambition, dès cet hiver, de présenter 20 % de nos produits en vidéo », indique-t-il. La qualité du site est déterminante tant le poids de l’activité e-commerce devient prépondérant. En 2021, les ventes en ligne réalisées par Pataugas sur son propre site et sur les sites des marketplaces devraient dépasser 35% de son chiffre d’affaires. Tordant le cou à l’idée qu’il faudrait choisir entre son site de marque et les places de marché, il estime que « les plateformes spécialisées telles que Zalando, Sarenza ou Spartoo sont incontournables, à la fois pour la performance qu’elles nous assurent et pour nous inscrire dans un écosystème de mode. Nous ne sommes pas dans la culture du “ou” mais dans celle du “et”, qui permet d’avoir le maximum de points de vente et de points de contact possibles », revendique-t-il. Les Amazon et consorts n’ont peut-être pas dit leur dernier mot.

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