Tribune
Les marques et les communicants doivent prendre la mesure de la diversité de la jeunesse, dont une partie ne se reconnait pas dans la représentation médiatique qui est faite de cette génération.

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Woke. Ce terme apparu durant les années 2010 aux États-Unis décrit un état d'esprit conscient des injustices et du système d’oppression qui pèsent sur les minorités. Avec plus de deux millions d’occurrences sur Instagram et 570 millions sur TikTok, le hashtag #woke explose sur les réseaux. Depuis quelques temps déjà, cette nouvelle forme de militantisme devient extrêmement visible au sein de médias mainstream comme Vice, Konbini ou Quotidien, dont le cœur d’audience est jeune, éduqué et urbain. Mais pas seulement. Cette audience est aussi convoitée par les marques. Nombre d'entreprises vantent leurs efforts, leurs engagements et leurs valeurs pour attirer ces jeunes, prisés pour leur pouvoir d’achat.

C’est une bonne idée de se focaliser sur cette part de la population dans la mesure où c’est un gros marché, mais il serait inopportun de considérer les millennials comme un groupe homogène de personnes qui veulent les mêmes produits ou les mêmes services, ou qui croient aux mêmes choses et réagissent de la même façon à un message. En courtisant cette génération, annonceurs et marques courent le risque de passer à côté de leur cible à la considérer comme une population homogène.

Une nouvelle forme de pureté idéologique

En 2019, Barack Obama faisait sa critique en l’évoquant comme une posture simpliste qui consiste à se placer du côté du bien en pointant du doigt les comportements ou personnes jugés problématiques, faisant ainsi disparaître toutes complexités, nuances ou débats d’idées. Cette nouvelle posture a dès lors fait naître une forme de manichéisme idéologique dans notre société. Son écrasante surreprésentation a créé une frustration chez une grande partie de la population rendue complètement invisible.

Pour beaucoup, celle-ci serait finalement l’affaire d’une jeunesse urbaine privilégiée et s’apparenterait à de la bien-pensance moralisatrice. En faisant naître une tension interne chez certains, cette idéologie peut mener à l’autocensure au sein d’un groupe par peur d’être ostracisé.

Pourtant, on observe une réelle différence entre les voix médiatiques et les valeurs portées par les jeunes sur certains sujets tels que l’amour, le rapport à l’ordre ou encore l’altruisme. Fin des relations exclusives qui étouffent les désirs et détruisent les couples ? Selon l'enquête «Génération quoi ?», menée par France Télévisions en 2016, 84% des jeunes en couple jugent pourtant que la fidélité est un critère important. On les dit altruistes ? Plus de 70% d’entre eux sont motivés par une carrière qui rapporte beaucoup d’argent, d'après un rapport du Morning Consult de 2019. On peut donc se demander si ce monopole permet de représenter la jeunesse dans sa pluralité et sa diversité.

Une résistance qui s'organise

Sur les réseaux sociaux, de nouveaux acteurs apparaissent, se revendiquant «du réel», et faisant contrepoids à ce qu’ils qualifient de nouvelle pensée dominante. Le Raptor Dissident, Gonzo News, Bruno Le Salé… : ces noms ne vous disent peut-être rien, mais ce sont les nouveaux acteurs qui s’érigent contre le politiquement correct [ndlr. Ces personnalités, Le Raptor Dissident en tête, sont des polémistes d'extrême droite]. Il s'agit là de digital natives, souvent au cœur de polémiques, mais dont les communautés ne cessent de grandir. Pour caricaturer les personnes qu'ils jugent excessivement «woke», ils utilisent fréquemment le hashtag #SJW pour «social justice warior», qui cumulent d’ailleurs près de 24 millions de vues sur TikTok.

Pour eux, PMA, harcèlement, cause animale, immigration, religion ou encore terrorisme sont traités sous le filtre de la bien-pensance sans jamais vraiment s’intéresser aux préoccupations d’une partie importante de la population - les millions de Français paupérisés. Cette résistance n’est pas seulement l’affaire de quelques jeunes. Il y a plusieurs jours, Bernard de la Villardière lançait son nouveau média, Néo. «Un média qui va montrer la France qui bouge, la France qui s'engage, sur des valeurs qui nous rassemblent et qui montrent qu'on est fiers d'être Français», a expliqué le présentateur. En mettant l’accent sur de très petites entreprises ou encore des agriculteurs, Néo espère apporter une réponse et un cadre d’expression à une jeunesse française qui ne se reconnait pas dans ce discours idéologique éloigné de son quotidien.

Ces initiatives ne représentent pour le moment qu’un signal faible mais elles sont de plus en plus visibles. Encore peu de marques résistent à cette vague de purpose et à une forme de culpabilisation morale du consommateur. C’est le cas de Point S, avec son film «Plan B», qui montre de façon très juste que, même avec toute la bonne volonté du monde, tout le monde n’a pas forcément d’alternative à la voiture individuelle. Les marques ainsi que les communicants doivent sortir de leur bulle algorithmique et sociale pour comprendre qui consomme vraiment les produits ou les services dont ils font la publicité. C’est aussi ça donner du sens et jouer un rôle dans la vie des gens.

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