Au lendemain de la première Guerre mondiale, le progrès de l’industrialisation permettait au plus grand nombre d’accéder à la sécurité et à l’hygiène. La naissance de nos grandes marques patrimoniales s’accompagnait d’une portée messianique, à l’instar d’un Lustucru, qui mettra des œufs dans ses pâtes pour favoriser la re-nutrition des Français.
Cinquante ans plus tard, le système se grippe avec ses premières dérives, celles du profit et de la rentabilité au détriment de la santé publique. Jacques Borel est parodié au cinéma dans L’Aile ou la cuisse, les marques s’enivrent entre publicité et marketing pour devenir les grandes stars d’une société baptisée de consommation. Dans les temples de la profusion, les tomates sont aspergées d’éthylène pour mûrir plus rapidement, le «tout anguleux» facilite le gerbage, la standardisation appauvrît les discours-produit au profit du fameux «plus gros le logo».
L’escalade atteint son paroxysme lorsque les scandales sanitaires éclatent. Pesticides, additifs, malbouffe finissent d’égratigner sérieusement ces grandes marques nationales et enseignes, qui n’auront finalement connu que 70 ans entre la naissance du réfrigérateur et la crise de la vache folle. La fin du siècle scelle le point d’orgue d’une immense perte de confiance ; cette fois, elles sont diabolisées.
Plus d’émotion et d’aspiration
S’ajoute à cette débandade un contexte concurrentiel qui rebat les cartes. La digitalisation du monde fait alors naître les pure players, ces petites marques locales qui n’ont pas les moyens des grandes pour acheter du mètre-linéaire et créent des réseaux alternatifs emprunts d’empathie. Vente en direct, abonnements, livraisons, économie collaborative... : storytelling et expérience font leur entrée sur le marché et challengent les grands acteurs du FMCG.
C’est l’heure d’une réconciliation imposée à une échelle plus intime : les grands retailers expérimentent de nouveaux parcours clients, ils se tournent vers plus d’émotion et d’aspiration. Dans cette nouvelle aventure «user centric», les marques créent un rapport privilégié avec des consommateurs très sollicités et en attente de personnalisation.
La culture mainstream doit se réinventer : tout en continuant à impacter le plus grand nombre, elle doit désormais s’adresser à chacun. Les marques font face à des clients informés qui prennent le pouvoir individuellement ou en communautés, et exigent de tout savoir. Nous entrons, à marche forcée, dans l’ère de la transparence et de la vérité.
Transformation culturelle
Entre politique RSE et engagement sociétal, les marques envisagent leur transformation culturelle, de gouvernance et de modèle économique. Elles avouent même leur fragilité en prenant exemple sur un Camper, qui reconnait «a little better, never perfect», ou sur un KFC, qui avoue «we’re sorry» en pleine rupture de poulet. Ainsi, il aura fallu six générations pour que les grandes marques industrielles se relèvent de leurs traumatismes et traversent les époques, six générations pour qu’elles assument leur supplément d’âme et remettent du lien. Et la marque Innocent d’engager la conversation sur son pack en invitant à «papoter».
Voilà qu’elles s’investissent de missions salvatrices, incarnent des raisons d’être incontournables pour rendre le monde meilleur. Elles se montrent accessibles, créent de nouvelles logiques vertueuses, de nouveaux circuits de distribution. Elles co-créent, cohabitent, partagent, dialoguent et se révèlent dans leur humanité.
La crise de la Covid-19 impose toujours plus de flexibilité, de service et d’écoute. D’ici à 30 ans, nous assisterons au vieillissement de la population en Europe, à l’épuisement des ressources naturelles, au développement de l’IA dans tous les domaines et à une mobilité accrue. Que deviendront nos marques au cœur de ces changements profonds et structurants ? Gageons qu’elles nous prouvent encore leur capacité de résilience.