Tribune
Qu'il soit organisé le 27 novembre ou le 4 décembre, le Black Friday divise. Ces dernières années, il est devenu le symbole du combat contre l'économie de la surconsommation. Même les marques se positionnent.

La tradition américaine du Black Friday, l’opération commerciale du lendemain de la fête de Thanksgiving, est devenue l’une des périodes commerciales les plus importantes de l’année, et des milliers de commerçants sont prêts à tout pour attirer les clients avec des promotions imbattables. Des files d’attente interminables devant des magasins, des crashs de sites d’e-commerce sont devenus les images phares du Black Friday, qui dépassent les frontières des États-Unis. L’événement qui lance en grand pompe la course aux cadeaux de Noël conduit les distributeurs et les marques à prolonger cette messe de la promotion en proposant «le Black Friday Weekend» ou encore «la Semaine du Black Friday».

Et si le Black Friday n’a pas bonne presse depuis quelques années déjà, en 2020, ce temps fort commercial suscite encore plus de polémiques. Tandis que le premier confinement a mis à l’honneur les travailleurs en première ligne, le second a fait emmerger des questions autour de la consommation quotidienne. Puisque chaque combat a besoin de son symbole, c’est donc le Black Friday et Amazon qui ont été choisis comme anti-héros. En France, le géant du e-commerce se retrouve dans le viseur de tout le monde - les responsables politiques, les commerçants et une partie des consommateurs -, devenant le bouc-émissaire de tous les maux d’une société fragilisée par la crise. Amazon et le Black Friday représentent un capitalisme sauvage qui fait écho à l’opposition croissante et si perceptible dans l’opinion publique entre «les petits» et «les grands», et l’écart n’a jamais été si grand.

Par conséquent, les initiatives pour encourager les clients à consommer mieux se multiplient avec The Buy Nothing Day ou encore le collectif français Make Friday Green Again, qui réunit aujourd’hui environ 1 000 marques (300 de plus qu’en 2019), de tous secteurs et tailles confondus. Et même si on est tenté de faire de cette journée un symbole de la surconsommation et des inégalités, qu’il se déroule le 27 novembre ou le 4 décembre, les consommateursn eux, restent ambivalents et leur opinion sur le Black Friday est paradoxale - même si les comportements d’achat évoluent. D’un côté, de plus en plus de consommateurs se sentent plus proches des marques qui s’engagent contre la consommation excessive. De l’autre, les filles d’attentes devant les magasins de la fast-fashion s’allongent.

Make Friday Green Again

Mais le Black Friday ne divise pas seulement les consommateurs pris en étau par les prix bas, leur conscience et l’envie de soutenir l’économie. Côté marques, l’événement est devenu un moyen fort de prendre position sur le sujet de la surconsommation, de choisir son camp, voire même d’inspirer le boycott. Dans le sillage du Buy nothing day, pour certaines marques, dénoncer la surconsommation est devenu un credo durant cette période. Déjà en 2011, Patagonia a donné un exemple fort avec sa campagne publiée dans le New York Times, «Don’t Buy This Jacket». Depuis, préparer son anti-Black Friday est aussi important que d’y participer.

Deciem, une marque de beauté canadienne, fait partie des dénonciateurs réguliers du Black Friday. L’année dernière, le jour-J, Deciem a fait appel à «un moment de rien» en fermant ses boutiques. Cette année, Deciem continue sur sa lancée de boycott avec le but de «supprimer définitivement ce jour du calendrier». A la place, la marque propose une campagne autour des périls de la consommation excessive sous le signe de «Knowvember», un mois de novembre consacré à la sensibilisation avec un dispositif digital dédié.

La pédagogie autour de l’évènement est aussi au cœur de la stratégie de Allbirds. En 2019, cette marque de chaussures éco-friendly a tout d’abord enlevé toutes ses baskets des rayons de sa boutique de Londres pour ensuite y organiser des workshops à propos de la consommation durable. En 2020, Allbirds casse les codes du Black Friday en augmentant les prix de ses produits d’un euro symbolique, qui seront ensuite reversés à l'un des mouvements de Greta Thunberg, Fridays for Future.

Blockout Friday

Le Black Friday est devenu le symbole du nouveau combat contre l'économie de la surconsommation. D’ailleurs, les Suédois ont trouvé un nom pour cette tendance : köpskam, la honte d’acheter. Après le flygskam (la honte de prendre l’avion), ce nouveau mouvement – si répandu – peut menacer le marché de la mode et modifier en profondeur les pratiques de consommateurs qui cherchent sans cesse des solutions pour un mode de vie plus eco-friendly.

Si le Black Friday a été utilisé comme référence sur le manque de responsabilité et de conscience écologique, il faut noter que nombreux sont ceux pour qui le Black Friday permet d’acheter des articles qu’ils ne pourraient pas se permettre de s’offrir autrement. Dans le contexte de la crise, où la baisse des revenus de certains est un sujet important, le Black Friday cristallise la division entre ceux qui peuvent consommer moins mais mieux et ceux qui peuvent être frustrés de ne pas pouvoir consommer du tout. Cette division croissante ainsi que la multiplication des initiatives anti-Black Friday constituent un signal d’alarme pour les marques et les distributeurs puisqu’il s’agit d’un mouvement représentatif d’un clivage entre deux visions du monde qui s’affrontent. Les grandes opérations commerciales en Europe attirent aussi de plus en plus les critiques. Le monde du retail doit réinventer le format et imaginer de nouvelles opérations commerciales, plus solidaires et plus conscientes qui pourront satisfaire et réconcilier les deux partis.

Une chose est sûre, le Black Friday se trouve en plein milieu de tout cela et nous laisse le choix. Les consommateurs ont déjà fait le leur. Les marques doivent se positionner.

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