Tribune
Loin de l'idée que le luxe est inutile, les grandes maisons agissent, que ce soit au niveau environnemental, sociétal ou culturel. Il est temps qu'elles portent cet engagement plus fort et plus loin.

A-t-on encore le luxe de s’intéresser au luxe ? Dans un monde qui connaît des bouleversements radicaux, qui voit les urgences sanitaires, économiques, politiques s’empiler comme autant de sujets à régler avant que tout ne s’effondre, a-t-on encore le luxe de produire des objets de luxe ? De consommer des marques de luxe ? De construire des maisons de luxe ? Autrement dit, le luxe a-t-il encore le luxe d’exister ?

Répondre à cette question, c’est soulever la raison d’être d’une industrie qui pèse des milliards d’euros et emploie près de 600 000 personnes en France. Quelle utilité peut-on dégager d’un secteur qui semble précisément fondé sur l’éphémère, sur le superflu, sur le geste artiste, sur le signe plus que sur la fonction, en un mot sur la beauté de l’inutile ?

Le luxe n’a pas toujours été considéré comme inutile. Mais si l’on jette un regard rétrospectif sur son histoire, on est frappé par la brièveté de la période où il a été au cœur des enjeux sociaux de son temps, et où il a été indiscutablement perçu comme un facteur positif d’impact sur le monde. Disons, pour résumer grossièrement, que cette période s’étend des années 1920, avec une Chanel qui accompagne l’émancipation des femmes, aux années 1970 d’un Saint-Laurent qui dynamite les derniers codes de la bienséance bourgeoise.

Au cœur de leur business model

Depuis, on pourrait dépeindre le luxe sous les traits d’une industrie comme les autres, qui s’attache à mettre sur le marché des produits non essentiels, de plus en plus standardisés, censés répondre aux goûts de nouveaux consommateurs de plus en plus nombreux à pouvoir, ou du moins vouloir, s’acheter de tels biens et dont l’objectif central serait le paraître. Pourtant,

et ce depuis de nombreuses années, le luxe agit.

A un niveau environnemental d’abord. De nombreuses marques de luxe, de mode ou de beauté adressent ces sujets fondamentaux, voire les placent au cœur de leur business model. Pratiques d’up-cycling, recherche de nouveaux matériaux plus verts, obsession du cruelty-free, protection d’écosystème et de terroirs, incursions dans la seconde main. Le luxe fait rêver quand il protège la beauté du monde, quand il favorise les savoir-faire, quand il célèbre la nature dans sa puissance créatrice.

À un niveau sociétal, ensuite. Beaucoup de marques de luxe interrogent, à travers la mode et la beauté, la notion même d’identité des individus. C’est pour cette raison que les enjeux de représentation de la diversité y sont cruciaux et ce n’est pas un hasard si elles sont nombreuses à avoir embrassé le mouvement Black Lives Matter et les combats LGBTQIA+. Il y a ici une puissance d’inspiration et d’élévation qui figure dans tout cahier des charges d’une grande maison de luxe. Mais aussi lorsqu’il s’agit de mettre au profit de toute la société son savoir-faire et sa capacité de production, comme on a pu le constater au début de la crise sanitaire que nous traversons.

Médiateurs culturels

Le luxe agit au niveau culturel, enfin. Cela fait longtemps que les marques de luxe se comportent comme des mécènes et des amoureuses des arts. À partir de cette posture sincère, elles endossent alors l’habit de véritable médiateurs culturels, mettant à disposition du public des œuvres, diffusant le travail de jeunes talents, mettant en perspective patrimoines et épisodes historiques. Ces éléments qui nourrissent la communication de la marque, ces éléments gratuits et offerts sont aussi de véritables plateformes qui amènent l’audience, qu’elle soit cliente ou non, à s’élever, à se cultiver et à mieux déchiffrer l’existence.

Oui, le luxe agit. Il anticipe et aiguille les évolutions sociales et apporte au système marchand un indispensable supplément d’âme. Car l’erreur serait de croire qu’il faudrait opposer le rêve aux sujets RSE, opposer le désir à la responsabilité. Au contraire, la vérité de notre temps est contre-intuitive : ce sont les enjeux collectifs concrets qui font rêver les individus. La dernière étude menée par BETC/Havas, Beyond Covid-19, montre que 75% des consommateurs pensent que pour mieux inciter les gens à combattre le réchauffement climatique, on devrait montrer combien la beauté du monde est menacée. Ce chiffre grimpe à 88% chez les Chinois.

Le luxe a donc dans sa manche une carte majeure à jouer. C’est peut-être même le secteur le mieux armé pour affronter les incertitudes de l’avenir. Il est temps que les marques de luxe portent cet engagement plus fort et plus loin, de manière décomplexée et assumée.

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