Tribune
L’une des valeurs cardinales du design est celui de la praticité, de la fonctionnalité. Mais il semble aujourd’hui que nous touchons les limites d’un design purement fonctionnel. Que serait un design utile dans le monde post-Covid ? Et comment participer à sa réinvention ?

La crise a montré que les gens attendaient des marques qu’elles entrent en action. La période les a forcées à recentrer leurs prises de paroles sur leurs actes, le what, plutôt que leur why. Elle a ainsi permis, indirectement, de jouer l’accélérateur de la réflexion autour de leur utilité : de ponctuel, l’engagement sociétal est devenu réflexe, et a signé sa consécration en devenant un levier d’engagement consommateur. L’enjeu qui s’ouvre aujourd’hui est celui de sa pérennisation. Les marques doivent prendre un tournant et inscrire leur utilité plus seulement dans leur plan stratégique mais dans leurs actions quotidiennes. Et le design est le levier le plus adapté pour les aider dans cette transformation. En tant qu’agence, nous nous devons de faire du « new normal » un espace d’expérimentation pour le mieux.

Pour repenser le design de demain, les marques doivent d'abord aligner les preuves d’engagement. Celles dont l’engagement a été le plus retentissant, le plus apprécié pendant la crise, sont celles qui l’ont fait de manière non-opportuniste. L’engagement des marques, pour être bien reçu, doit être pertinent par rapport à la mission d’entreprise et s’inscrire dans la continuité du rôle social de la marque. Par exemple, Doctolib, qui s’est toujours positionné comme un partenaire des professionnels de santé, a installé gratuitement la téléconsultation chez les praticiens et a proposé un service de relance d’activité en toute sécurité. Le groupe Accor, leader mondial de l’hospitalité augmentée, a mis à disposition des lits inoccupés pour accueillir le personnel soignant, les sans-abris et les malades. La MAIF, assureur militant, a fait bénéficier ses sociétaires des économies réalisées pendant le confinement. Ces engagements s’inscrivent dans la stratégie de marque, ce qui leur donne d’autant plus de puissance et permet la crédibilité des éléments communiquants.

Le marque comme partenaire

Il convient aussi de faire de la marque un partenaire. Toujours dans cet objectif de crédibilité, l’engagement ne doit plus être une déclaration de principe mais un engagement du quotidien auprès des consommateurs. Ainsi, cela implique une différence de posture : sortir du déclaratif pour accompagner les gens dans l'adoption des comportements plus responsables et soutenir les engagements individuels déjà nombreux. Être utile en se positionnant comme marque coach ou marque «empouvoirante».

Et le design a un rôle à jouer, car qui mieux que lui peut inviter à l’action ? Que ce soit par le nudge - comme l’a fait SNCF dans sa gare des Mureaux - ou dans la conception de produits et marques responsables aussi séduisantes que des marques classiques, sans concession de style. Je pense ici à Backmarket ou Depop (plus de 13 millions d’utilisateurs), qui ont relevé ce pari avec brio en rendant ultra-contemporain l’achat de seconde-main (ou «pre-loved») grâce à l’éditorialisation des produits. En retail, la proposition de Biocoop est également intéressante : proposer une offre bio aussi variée et attractive que des rayonnages classiques de GMS, ôtant toute sensation de sacrifice aux courses alimentaires responsables.

Les marques doivent aussi penser en écosystème. Elles ne peuvent plus se construire dans la simple interaction marque-client. La crise a remis au premier plan l’interconnexion de toutes les actions et le besoin de solidarité. Elles doivent donc cesser d’adopter des postures de héros pour porter des visions qui rassemblent, résister à la tentation du repli sur soi et s’intégrer dans le collectif en concevant des solutions ouvertes, nouant des partenariats, donnant accès à la donnée... Danone a ainsi ouvert l’accès à la recherche à son fichier de cellules souches, Accor a cherché à intégrer ses hôtels dans la vie locale en augmentant leur fonctionnalité, autant d’exemples inspirants de marques initiant des visions collectives. Et si les marques de demain étaient des «open brands» ? Pour aller plus loin, les marques doivent également s’inscrire dans des mouvements qui les dépassent permettant de donner plus d’ampleur aux pratiques responsables. Les mouvements B Corps ou RE100 sont parmi les initiatives les plus remarquables. Comment maintenant donner vie à ces collectifs dans le quotidien ?

Importance de l’émotion

Enfin, les marques doivent faire vibrer et rassembler. Toutes les vagues de l’étude Brands&You de l'institut CSA ont prouvé pendant le confinement l’importance renouvelée de l’émotion. Acteurs pourtant indispensables du quotidien, les fournisseurs d’énergie, télécoms et autres marques automobiles ont été les grands absents de chacun de ces classements. A contrario, l’attachement créé par Air France a permis de la placer parmi les marques qui ont le plus manqué aux Français. Ceci prouve qu’une approche purement fonctionnelle de l’utilité ne suffit pas. L’émotion nous permet de donner de la substance, un impact aux marques sans commune mesure avec un langage purement rationnel. L’émotion permet d’interpeller, créer une réaction qui sera par la suite génératrice de valeur. Notre rôle, en tant qu’agence et designer de marque, est de prouver que cette création d’émotion est possible pour toutes les marques, et pas simplement celles du luxe ou du voyage.

Cette crise doit être vue comme une nouvelle opportunité pour les marques : se reconstruire et engager des réflexions urgentes et nécessaires. Et le design est un excellent moyen de les mener. Pour initier et guider ces réflexions, voici quelques questions que les gestionnaires de marque peuvent se poser : les engagements de ma marque aujourd’hui sont-ils alignés avec sa proposition de valeur ? Quels actes pourraient être mis en place pour prouver cet engagement ? Est-ce que l’une des marques de mon portfolio pourrait avoir une influence positive sur le comportement de mes clients/consommateurs ? Quelle initiative ma marque pourrait-elle rejoindre pour augmenter son impact ? Quelles émotions ma marque provoque-t-elle aujourd’hui et sont-elles en accord avec ma plateforme de marque ?

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