Traditionnellement, le leader, qu’il soit chef d’entreprise ou chef d’État, est celui qui doit savoir. Il sait quelle est la cible à atteindre (nombre de points de croissance à gagner, de produits à vendre ou de gains opérationnels à faire…) et il sait comment atteindre cette cible, grâce à un plan stratégique établi sur trois ou cinq ans. La crise que nous connaissons actuellement vient bouleverser cette posture. Aujourd’hui, le leader n’est plus en mesure de savoir quelle sera la cible, ni comment l’atteindre, car il doit faire face à deux problématiques majeures : un grand nombre de données inconnues et des informations qui évoluent en permanence.
Pour se rendre compte de ce fossé, il suffit de regarder quelques semaines en arrière. Début février 2020, nous ne savions pas qu’un malade asymptomatique pouvait être contagieux ou que l’anosmie (perte de l’odorat) et la dysgueusie (altération du goût) pouvaient être des symptômes du coronavirus. Depuis que ces éléments sont connus, les stratégies ont évolué avec la mise en confinement de la population d’une part, et la prise en compte de ces symptômes dans les diagnostics d’autre part. Ce contexte particulier, caractérisé par une très forte incertitude, amène donc le rôle de leader à évoluer, passant du «leader qui sait» au «leader qui ne sait pas».
Ce bouleversement requiert une remise en question profonde de la part du leader, qui va devoir faire preuve d’une grande humilité pour accepter de ne pas savoir. Ce dernier va également devoir accepter de faire des erreurs et de revenir sur des décisions prises, ce qui n’était pas monnaie courante avant la crise du Covid-19. À titre d’exemple, le premier ministre néerlandais a fait évoluer ses recommandations face au risque de saturation des hôpitaux, passant d’une stratégie d’immunité collective à une stratégie de confinement. Ce type d’évolution est parfaitement entendable par la population - qu’il s’agisse des citoyens d’un pays ou des collaborateurs d’une entreprise - à condition que le leader communique de manière totalement transparente : «nous ne savions pas ; nous avons fait une erreur et nous avons mis en place telles actions pour la corriger».
Repenser le lien de confiance
L’évolution de la posture de leader nécessite ainsi de repenser le lien de confiance avec la population. Auparavant, la confiance envers le leader reposait sur la capacité supposée de ce dernier à savoir. Aujourd’hui, elle va plutôt reposer sur sa capacité à prendre les décisions les plus adaptées à un moment donné, puis à les faire évoluer en fonction des nouvelles informations reçues. C’est donc sur ces informations – données disponibles et prises de décision évolutives – que doit s’appuyer la nouvelle communication du leader. Celui-ci doit d'abord distinguer les informations connues à ce jour, les hypothèses posées et les données inconnues, puis expliciter de manière pédagogue comment les décisions ont été prises en fonction du niveau d’informations connues, et enfin recommencer régulièrement cet exercice de communication, notamment lorsque les informations ont évolué et que les décisions ont été adaptées.
Plus cette communication sera transparente, plus le nouveau rapport de confiance sera consolidé. En outre, ce rapport de confiance est mutuel. Autant la population fait confiance au «leader qui ne sait pas» pour prendre des décisions adaptées, autant le «leader qui ne sait pas» doit faire confiance à la population pour contribuer à la sortie de crise. L’exemple le plus abouti de cette confiance mutuelle est incarné par le modèle suédois de liberté sous responsabilité. Le gouvernement souhaite en effet limiter l’impact économique et social de la crise en maintenant les écoles et les entreprises ouvertes. En contrepartie, il compte sur la responsabilité individuelle des citoyens pour ne pas diffuser le virus et rester chez eux à la moindre apparition de symptômes.
De même en entreprise, plus les dirigeants feront confiance à leurs collaborateurs et les laisseront libres d’organiser leur journée de travail en fonction de leurs contraintes personnelles, plus ces derniers seront à même d’inventer de nouvelles manières de travailler, permettant ainsi à l’entreprise d’innover pour ne pas sombrer.
Mathilde Dégremont a publié le livre Le management en pratique. Comment construire votre propre méthode ? aux Éditions Ellipses.