Tribune
Le Covid-19 n’est pas seulement un accélérateur de notre futur, c'est aussi un révélateur de notre monde. Et pour s'en sortir, les entreprises devront intégrer les quatre dimensions du concept VUCA pour comprendre la réalité de leur environnement.

Le Covid-19 est un malheur depuis longtemps prévu. Seules les dates et le nom du virus manquaient. Il rend apparent et accélère ce que nous savons depuis des décennies et que nous n’avons pas voulu voir. Ce n’est pas un monde nouveau qui apparaît au travers du brouillard de la pandémie, c’est celui auquel nous aurions dû faire face depuis trop longtemps. Le théâtre s’écroule, les masques tombent.

VUCA est l’acronyme de Volatile, Incertain (Uncertain), Complexe et Ambigu. Créé aux Etats-Unis en 1991 par l’US Army War College pour décrire le monde post-guerre froide, VUCA permet de mettre des mots et des concepts sur ce que la plupart d’entre nous ressentons professionnellement depuis une vingtaine d’années. L’acronyme VUCA a été repris par plusieurs entreprises telles que L’Oréal ou Unilever pour concevoir leur stratégie.

Car ce qui est séduisant avec VUCA, c’est qu’il indique également les quatre paramètres pour agir sur notre environnement. Or, la confusion des dirigeants face à notre monde provient d’un manque de discernement sur ces quatre paramètres. Un problème mal posé est difficilement appréhendable. Dès lors, la maîtrise n’est qu’une illusion de maîtrise, la prévision, une illusion de prévisibilité.

Grave erreur

Avec le Covid-19, nous avons expérimenté la dimension VUCA de notre monde. Bien des chefs d’entreprise voient l’évolution de leur stratégie dans la période post-virus comme une continuation des initiatives qui ont déjà débuté. Ils se disent qu’ils vont accélérer leur transformation digitale, la responsabilisation sociétale de leur entreprise. Ils commettent là une grave erreur car ils n’ont pas intégré la réalité VUCA de leur environnement, de leur entreprise, alors qu’ils sont en train de la vivre.

Car le Covid-19 n’est pas qu’un accélérateur de notre futur mais un révélateur de notre monde. Si nous prenons les redressements judiciaires d’Alinéa, d’André, de Tie Rack, de Pacific Pêche, de 5àsec en France, les faillites des américains J.C. Penny, Neiman Marcus et J. Crew, leurs problèmes existaient bien avant la pandémie n’en déplaise à leurs dirigeants. Ils n’avaient pas voulu voir l’évolution de leur environnement, de leurs clients. Ils pensaient se trouver dans un monde stable, anticipable, lisible comme ils l’avaient appris en cours de stratégie en grande école, de commerce, d’ingénieur ou d’administration.

Ils ont réfléchi et veulent continuer à penser avec des théories du management déconnectées de la réalité de notre monde. Les quatre piliers sur lesquels ils s’appuient sont : une activité économique hyper concurrentielle, une époque d’entrepreneuriat, un cycle d’activités plus rapide et une mondialisation inévitable. C’est un recueil d’idées moribondes.

Se remettre profondément en cause

L’enseignement supérieur va imploser, à l’image du retail. Dans un premier temps, aux Etats-Unis puis en Europe. Là aussi, ce n’est pas dû à l’accélération causée par le coronavirus mais à une évolution de leurs marchés amont et aval, à l’œuvre depuis des décennies. Pas plus que bien des entreprises du retail, l’enseignement supérieur ne veut remettre radicalement en cause ses schémas de pensée : aller au-delà du blended learning, de cours sur le digital.

Les marques de grande consommation et bien sûr le secteur de la santé sont également en première ligne pour la disruption. Refuser les implications des quatre dimensions VUCA, c’est nier la réalité de notre monde. L’accepter, c’est admettre de devoir se remettre profondément en cause, individuellement en tant que dirigeant et collectivement en tant qu’organisation. C’est, et certains trouveront cela paradoxal, avoir une stratégie claire. Car dans un monde VUCA, construire une feuille de route pour atteindre ses objectifs devient un impératif.

Les penseurs académiques de la stratégie ont juste oublié d’être humbles et d’apporter la preuve de leurs résultats. Ils ont voulu apporter des solutions dans un monde figé alors que c’est une méthodologie pour un «âge de la discontinuité» qui est nécessaire. La réalité du monde n’a de cesse de nous le rappeler avec de plus en plus de force. Si les masques tombent, l’impératif stratégique demeure. L’Oréal et Unilever en sont la preuve.

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