Communication
Tiraillée entre des régions voisines plus puissantes, écartelée entre deux collectivités dont les ténors sont entrés en joutes électorales et freinée par un développement économique qui ne vient pas, Montpellier cherche encore à attirer des entreprises à coup de campagnes.

Dans les années 1980, Georges Frêche lançait avec Daniel Boulet, son publicitaire fétiche (RSCG puis Cap Consultants), «Montpellier la surdouée», une campagne qui a marqué les esprits mettant en scène un bébé mathématicien censé faire de sa ville la Silicon Valley du Sud. Trente ans plus tard, Georges Frêche n'est plus. Il a laissé le souvenir de ses frasques politiques et sa place à la mairie, mais l'aura qu'il a voulu donner à sa ville perdure. «Cette campagne est restée un mythe», lâche Pascal Hébrard, le patron de l'agence Wonderful.

Depuis, Montpellier attire, et même un peu trop. La ville enregistre la plus forte croissance démographique de France (+22,53% entre 1990 et 2012, avec 258 366 habitants). C'est la deuxième ville la plus attractive de France, après Toulouse. «Mais c'est aussi ça qui pose problème, reconnaît Sophie Salelles, directrice de cabinet à la communauté d'agglomération de Montpellier, car nous importons beaucoup d'inactifs, de retraités ou de chômeurs.» Et là où le bât blesse, c'est que la surdouée n'a pas tenu ses promesses.

Le Languedoc-Roussillon détient la première place des régions françaises les plus touchées par le chômage (13,8% au 3e trimestre 2012, contre 9,9% au niveau national, source Insee). Même proportion à Montpellier: 13,4%. Et pour cause, le développement du tissu économique n'a pas suivi: l'ancien territoire agricole n'a pas vu son industrie décoller (19%, contre 25% au niveau national), les services sont sous-développés (23%, contre 27% au niveau national) et 52% des entreprises comptent moins de dix salariés. «La stratégie de développement économique est arrivée au bout, lâche Sophie Salelles. Nous avons des villages et des parcs d'entreprises, des incubateurs, un Mibi [Montpellier International Business Incubator]… mais la création d'emplois ne décolle pas.»

Ce décollage économique rendu encore plus difficile par la crise est d'autant plus attendu que Montpellier y va de sa survie. «Sans développement économique suffisant, la ville, déjà coincée entre Marseille et Toulouse, devrait être rattachée aux régions Paca ou Midi-Pyrénées», commente un publicitaire. Sophie Salelles confirme: «C'est une lutte permanente, notre petit territoire est tiraillé entre Toulouse, Barcelone, Lyon et Marseille.»

Unlimited et controversée

D'où le lancement fin 2012, avec tambours et trompettes, devant quelque 4 000 VIP réunis au Zénith, d'une campagne «Montpellier Unlimited», signée par l'agence Sens inédit, que le président de l'agglomération Jean-Pierre Moure justifiait ainsi dans la presse: «On a plus de 1 000 entreprises à attirer sur le territoire et 15 000 emplois à créer d'ici 2020.» L'argument n'a pas suffi à faire taire les critiques d'autant que cette campagne nationale voire internationale, via les gares et aéroports, où l'édile trônait en signature, est vite apparue comme la première salve de sa campagne municipale face à Hélène Mandroux, maire en exercice, du Parti socialiste comme lui.

Côté mairie, Benoît Sabathier, le directeur de la communication défend: «La seule marque, c'est Montpellier.» Et d'enchaîner sur les atouts de la ville que l'agglomération semble vouloir lui ravir: «Avec 62% de la population de l'agglomération, Montpellier est prépondérante. C'est elle qui est attractive avec ses choix architecturaux, ses écoquartiers, son événementiel culturel.» Autant de thématiques développées par la ville à coup de campagnes pluriannuelles,principalement signées par l'agence Anatome, notamment sur le puissant réseau d'affichage municipal, afin de nourrir «le développement d'une économie résidentielle qui produit de la ressource».

Lutte électorale, bataille de territoires, de marques et de budgets, que l'on dit démesurés pour l'agglomération. «Cinq millions d'euros annuel et 700 000 euros pour la campagne “Montpellier Unlimited” de fin d'année», rétorque Sophie Salelles. Tandis qu'à la mairie, on avance 4,5 millions d'euros de budget en 2012 et 4,4 millions en 2013. «Moins de 1% du budget communal, soit le standard», précise Benoît Sabathier, n'ayant pas oublié un article paru dans Le Figaro magazine qui plaçait la ville parmi les plus dépensières de France. Les administrés sont tenus de jouer les arbitres: «Jean-Pierre Moure et Hélène Mandroux se répondent par voix de campagne, observe Gwénaëlle Guerlavais, journaliste et fondatrice de l'hebdomadaire Jeudi tout. Quand la mairie affiche “Ma mairie le fait”, l'agglo répond illico “La culture, sans l'agglomération…”.»

Marché captif

«Le marigot des agences de com», titrait il y a peu le même Jeudi tout, histoire de planter le décor d'une autre bataille intimement liée aux autres: un combat judiciaire ayant pour toile de fond la stratégie de choix d'agences des mêmes collectivités dans un contexte économique difficile. En effet, une seule agence, Sens inédit, dirigée par Pascal Provencel, truste les principaux budgets institutionnels locaux, à savoir celui de l'agglomération et du conseil régional, dont la marque Sud de France. De quoi susciter bien des jalousies quand «70% du marché de la publicité en Languedoc-Roussillon repose sur les marchés publics», précise Pascal Hébrard, de Wonderful, qui dispose cependant d'un petit marché de «graphisme pour les campagnes locales de l'agglomération».

Sans compter que Pascal Provencel traîne aussi quelques «casseroles judiciaires». Déjà condamné en deuxième instance pour délit de favoritisme, il est depuis février sous les salves de l'avocat Olivier Taoumi, qui a déposé quatre plaintes dont trois le concernent, pour le compte de l'association Défense des administrés, des usagers et des contribuables de l'Hérault. «Je suis victime d'un jugement moral, tempête l'intéressé, je vais déposer un dossier en cassation le 15 avril et je gagnerai», affirme-t-il, réfutant également les liens entre la gestion du budget et le poste de sa compagne au service de développement économique de l'agglomération.

Sophie Salelles défend son choix d'agence: «Je ne suis pas amie avec M. Provencel. Sens inédit a le marché parce que c'est la meilleure en termes de moyens.» Et d'enfoncer le clou: «Quand on voit la qualité des réponses des autres agences, on se demande si elles veulent vraiment gagner.» Il n'empêche que la tempête, attisée par un article du Canard enchaîné daté du 31 octobre 2012 et une lettre de l'UCC Med (Union des conseils en communication Méditerranée) envoyée à la presse, aux élus et même à la ministre de tutelle, semble avoir déjà porté ses fruits. Sophie Salelles reconnaît «réfléchir à un tronçonnage des budgets», tandis qu'à la mairie, où les campagnes étaient jusqu'à présent signées par une même agence, Anatome, on a déjà changé son fusil d'épaule. En début d'année, l'appel d'offres lancé est destiné à choisir quatre agences. Même si Benoît Sabathier ne veut voir dans cette «révolution difficile» qu'une conséquence de son arrivée à la direction de la communication, il y a un an et demi, il reconnaît qu'il «fallait quitter un modèle d'un autre âge» et révèle qu'il est même question d'aller encore plus loin en créant des lots thématiques (culture, développement durable, etc.).

 

(encadré)

 

Médias et agences à Montpellier

Médias

Quotidiens: Midi libre (136 527 ex., –2,74% pour la période 2011-2012. Diffusion payée France et étranger, OJD, DSH 2012); L'Hérault du jourLa Marseillaise (chiffres non communiqués). Presse hebdomadaire régionale:La Gazette de Montpellier, L'Agglorieuse et Jeudi tout. Télévision: France 3 Languedoc-Roussillon (audience NC); TV Sud (42 000 téléspectateurs quotidiens, soit 6% de pénétration sur les 15 ans et plus. CSA sept.-déc. 2011)

Agences

Les trois premières (indépendantes): Sens inédit (42 salariés pour un chiffre d'affaires de 14,8 millions) ; Wonderful (30 salariés pour un CA de 8 millions, dont 4 millions à Montpellier et Marseille); Symaps (12 salariés pour un CA de 1,5 million d'euros hors achat d'espace)
Une cinquantaine d'agences en Languedoc-Roussillon, dont 17 agences rattachées à l'UCC Med, qui en réunit 89.

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