Directeur de la marque, des événements et des cérémonies de Paris 2024, Thierry Reboul se confie à moins d’un an du coup d’envoi de Jeux confrontés à de multiples défis.
Vous avez prévu une cérémonie d’ouverture hors stade, sur 6 km sur la Seine. Comment se lance- t-on dans un défi pareil sans aucun benchmark ?
Thierry Reboul. Je fuis les benchmarks, j’essaie toujours de créer de l’originalité. On organise les Jeux une fois par siècle, il faut qu’ils restent le plus possible dans la mémoire collective avec des idées en rupture. Le plus beau symbole, c’est la cérémonie d’ouverture, et on s’est tout de suite dit qu’il fallait la faire en dehors d’un stade. Tout le monde nous attendait sur les Champs-Élysées, mais on s’est rendu compte que la Seine était le cœur de notre projet, ne serait-ce que parce qu’elle fait le lien avec la Seine-Saint-Denis. C’est porteur de beaucoup de sens, notamment sur le sport dans la ville, car plusieurs épreuves auront lieu sur la Seine.
Qu’est-ce que cela implique en termes de scénographie ?
Je travaille beaucoup avec le directeur artistique Thomas Jolly. Je vais lui voler une expression qu’il utilise souvent : dans un stade, il y a une convergence du regard, tout le monde regarde la même chose au même moment. Là, c’est le contraire, on a déplié le stade pour créer cette bande de 6 km. Il faut complètement réinventer sa manière de penser la scénographie, de vivre un spectacle.
Pourquoi avoir choisi ce metteur en scène de théâtre et d’opéra ?
On a pris le temps, on a parlé avec près de 70 personnes. Pour les cérémonies précédentes, il y a eu des chorégraphes comme Philippe Decouflé à Albertville en 1992, des cinéastes comme Danny Boyle à Londres en 2012. Mais par rapport à cet événement hors norme, ma réflexion était d’aller vers quelqu’un qui avait une grande culture du direct et de la foule. Thomas Jolly a monté un Shakespeare qui durait quarante-huit heures. Il fallait un artiste avec ce type d’idées atypiques.
Comment vont se passer les répétitions ?
C’est un vrai sujet de réflexion. En général, dans un stade, la tradition est de garder la totalité du secret. Là, il est clair qu’on ne va pas faire une répétition générale trois jours avant la cérémonie au vu de tous. Il y aura vraisemblablement des répétitions d’un certain nombre de tableaux par petits éléments, un peu comme pour le défilé du 14-Juillet. On va essayer de brouiller les pistes, et pour ce qu’on ne peut pas cacher, en faire des vecteurs de communication, avec un peu de teasing.
Est-ce qu’il y aura des choses dans les airs ?
On l’a dit quand on a présenté cette idée, on va avoir un raisonnement en plusieurs dimensions pour tirer parti de tout ce que ce site incroyable nous offre.
Vous êtes aussi directeur de la marque. En quoi consiste ce rôle ?
Pour le coup, c’est assez conforme à une direction de la marque dans une grande entreprise traditionnelle, avec un travail sur tous les signes d’identité et leurs expressions, sur les produits dérivés, sur le look des Jeux dans les villes et dans les stades. La spécificité que j’ai proposée à Tony Estanguet [président de Paris 2024], c’est d’ajouter une direction de la création. Cela nous permet de proposer des idées dans des segments qui n’étaient pas sous notre responsabilité, comme le stade de la Concorde ou le surf à Tahiti qui dépendent directement des sports. Tout ce qui se passe autour de la cérémonie est dans mon périmètre direct, mais la volonté de Tony Estanguet est de créer des ruptures à tous les échelons, sportifs comme non sportifs. On travaille dans ce sens en liaison avec toutes les directions.
Vous avez annoncé des Jeux inclusifs et responsables. Comment cela se traduit-il dans votre organisation ?
Je le disais, quand on choisit la Seine, on crée des symboles. On met en avant un mode de transport vertueux. On met en place des pratiques écoresponsables en produisant a minima, en compensant, voire en générant un bilan positif. Cela peut sembler contradictoire avec le fait de réunir des millions de gens, mais il ne faut pas négliger le bénéfice que la confrontation des cultures apporte à l’humanité. Concernant l’inclusivité et l’accessibilité, il y a tout le travail de mise en avant des Jeux paralympiques et les engagements de développement territorial portés par la direction de l’héritage, comme la construction de piscines en Seine-Saint-Denis. Pour ma part, je suis responsable de l’héritage immatériel, du souvenir collectif que l’on va laisser, à l’instar de celui de la Coupe du monde de 1998.
Quand on parle d’inclusivité, on pense aussi au prix des places. Comment faire pour que ces Jeux restent un événement populaire ?
On a essayé d’expliquer que cette billetterie est plus ouverte qu’on ne le pense : plus de la moitié des places sont à 50 euros ou moins. Au niveau de la cérémonie, avoir un certain nombre de places chères, c’est aussi pouvoir en offrir des centaines de milliers gratuitement, ce qui n’est jamais arrivé.
Les émeutes de juin ont-elles remis en question certains projets ?
C’est compliqué de répondre à cette question, car cela sous-entendrait que quand on rencontre une difficulté de société, il faut tout arrêter. On a connu d’autres difficultés, mais on a été nombreux à dire haut et fort qu’il fallait continuer à vivre. Il faut être attentif, toutefois notre objectif, c’est de chercher des éléments d’harmonie et de créer un collectif qui concoure à la vie en société. Sans être naïfs, nous sommes déterminés à mener notre mission de favoriser le vivre-ensemble.
Le 20 juin, on a appris qu’une perquisition avait eu lieu dans les locaux du comité d’organisation pour suspicion de conflits d’intérêts. Cette procédure vous inquiète-t-elle ?
On doit être l’un des organismes les plus contrôlés de France. On en est à notre cinquième rapport de la Cour des comptes. On répond, on fournit les éléments dans le respect des institutions. Cependant, on ne perd pas de vue qu’on a des Jeux à livrer dans un an.
Est-ce que vous vous préparez comme un athlète pour ce rendez-vous unique dans une vie ?
Malheureusement, c’est plus compliqué pour moi que pour des sportifs de haut niveau et il y a en a un paquet dans cette maison, à commencer par mon boss ! Même si vous êtes prévenu, vous n’êtes pas préparé pour ce niveau d’intensité. C’est comme un 110 mètres haies sur 6 km. Mieux vaut ne pas regarder la ligne d’arrivée et se concentrer sur chaque pas, avec humilité mais avec l’envie que le pays soit fier. Encore une fois, cela n’arrive qu’une fois par siècle, on se doit de faire un événement grandiose.