Année de la pub 2011
Cas d’école pour les formations publicitaires. Renault, leader du marché en France, reprend les codes créatifs d’Opel, l'un de ses challengers. Vous avez dit «moteur franco-allemand»?

Ce coup de fil, Philippe Lentschener, le patron de McCann France, s'en souviendra longtemps. «Je regardais la demi-finale de la Coupe du monde de rugby France-Galles quand Christian Coquart, responsable du budget Opel à l'agence, m'appelle. Tu as vu?, me dit-il. Je lui réponds, quoi donc? La pub de Renault, à la mi-temps. Je regardais le match sur Canal+. Fatalement, j'avais raté ça.»

Ça, c'est le spot qui a surpris le monde de la communication. A 9h40, ce samedi 15 octobre, Renault diffuse un film pour sa Mégane qui reprend tous les codes de la campagne Opel «Deutsche Qualität», réalisée par McCann depuis un an. Même fond blanc, même plan de trois-quarts avant, mêmes plans de coupe. Identique, à un détail près: ce n'est pas un allemand qui parle allemand, mais un Français qui s'exprime dans la langue de Goethe… comme une vache espagnole. La publicité d'Opel est tournée en dérision. Irrésistible.

Les réseaux sociaux s'emparent illico du phénomène et le spot Renault atteint rapidement un million de vues. Chez McCann, c'est branle-bas de combat. «Les équipes Opel sont mobilisées dès le lundi, rapporte Philippe Lentschener. Toutes les réponses sont explorées.» La voie juridique est rapidement écartée. Pas adaptée. «En réalité, de quoi s'agit-il? s'interroge le patron de McCann. Un leader s'approprie le concept d'un challenger. C'est du jamais vu. Finalement, ce détournement consacre le concept publicitaire mis en place pour Opel.»

McCann et Opel optent donc pour l'autodérision. La marque répond à Renault par une simple page de publicité, publiée le mercredi suivant dans les quotidiens. «Attenzion, des imitations de publicité pour Opel se sont glissées dans vos écrans, ne vous méprenez pas!» L'agence poursuit sur le registre de l'humour… et prie pour que Renault ne réponde pas. Ce ne sera pas le cas.

Car, chez Renault, et son agence Publicis Conseil, on n'était pas forcément plus fier. La marque au losange redoutait un réponse juridique d'Opel. Heureusement, les constructeurs ont préféré un duel de gentlemen.

«Nous voulions casser cette convention qui veut que la qualité soit germanique ou japonaise, mais surtout pas française, explique Olivier Altmann, coprésident de Publicis Conseil. Renault a toujours été impertinent et l'humour offre une condition d'écoute idéale.» Opel, qui a fait du nationalisme allemand un concept de communication, est la cible parfaite de cette campagne réalisée à la volée. L'agence des Champs-Elysées se défend de tout plagiat. «Ce n'est pas une copie, assure Olivier Altmann. On a repris, à l'avantage de Renault, les codes d'écriture. Pour nous, c'est une simple caisse de résonance.»

Les deux marques en profitent

Mais pourquoi Renault, leader en France avec plus de 20% de part de marché, s'attaque-t-il à un challenger, Opel, qui rassemble moins de 5%? «Ce n'est pas le problème, répond le dirigeant de Publicis Conseil. Renault n'attaque personne, ni Opel ni l'Allemagne. Renault parle de qualité.» Le constructeur français a peut-être aussi jeté un œil sur la courbe des immatriculations de véhicules neufs. A la fin octobre, quand Renault accusait un recul de 5,3%, son concurrent Opel progressait de 8,4%.

«Ils ont fait une erreur, tranche Philippe Lentschener. Quand on fait ce type d'exercice, au final, on renforce les codes de celui qui a parlé en premier. Finalement, Opel s'est servi de leurs investissements comme un levier. A chaque fois que Renault communique, cela profite aussi à Opel.» «Non, les deux en profitent, assure Olivier Altmann. Au-delà, je trouve rassurant, à une époque très politiquement correcte, que les marques, dans ce cas, se répondent sur le terrain de la communication.» Renault et Opel ont ouvert la porte du partenariat gagnant-gagnant entre concurrents. Qui suivra?

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