Quand les mauvaises nouvelles tombent en cascade, cultiver l’optimisme peut apparaître périlleux, voire déplacé. Pourtant, employé à bon escient, l’art de voir le verre à moitié plein constitue un efficace levier de performances.

« La thématique est casse-gueule ». Didier Pitelet, multi-entrepreneur à la tête notamment de Maison Henoch consulting et ambassadeur de la « marque employeur » en France, a le mérite d’être synthétique. Avec la chasse gouvernementale aux 60 milliards d’économies, les défaillances d’entreprise en plein boom (66 000 en un an, selon le cabinet Altares) et des plans sociaux d’envergure à Michelin, Auchan ou Nexity, le ciel économique s’assombrit. La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, estime qu’avec 200 plans sociaux depuis le début de l’année, il faut s’attendre à 300 000 suppressions d’emplois d’ici à la fin décembre. Dans un tel contexte, l’optimisme, ce « sentiment de confiance dans l’issue d’une situation » - pour reprendre la définition du Larousse - ne s’impose pas spontanément. À tort.

Une « forme d’incantation »

Il faut relativiser la portée des mauvaises nouvelles sur le front de l’emploi. Selon une étude publiée en juin dernier par Indeed, les Français sont plus optimistes pour eux-mêmes que pour l’économie. Si 63 % des actifs ont une vision négative du marché de l’emploi, 52 % expriment une vision positive de ce que leur réserve leur carrière. OpinionWay, de son côté, a fait un focus de 73 pages – rendu public en octobre 2024 - sur l’optimisme, analysé sous toutes les coutures : âge, sexe, lieu de vie (Paris, Île-de-France ou province), niveau de salaire. Une grande bouffée d’optimisme ! Si une majorité prévoit que les cinq prochaines années seront plus difficiles que les cinq dernières, 74 % se déclarent optimistes en 2024. Et cela monte à 94 % s’agissant des chefs d’entreprise. « Un bon patron voit le verre à moitié plein, souligne Eric Gras, spécialiste du marché de l’emploi chez Indeed. Il a cette forme d’incantation. Les réseaux sociaux amplifient le négatif. Cela fait du buzz. Le management peut aider à prendre de la hauteur par son job. »

Avantage bien connu de l’optimisme, il est communicatif et encourage des commerciaux à aller de l’avant. C’est pourquoi les patrons ne sont qu’exceptionnellement dans le pessimisme et rarement dans un sentiment neutre sur leurs opportunités à venir. « L’impulsion du dirigeant ? Il n’a pas encore ouvert la bouche que cela se voit », commente Catherine Testa, cofondatrice du site Loptimisme.com. Un état d’esprit qui inspire les managers. En juin 2020, en pleine crise covid, un sondage Ifop-Stratégies, réalisé auprès de 202 professionnels en régies, agences, médias et chez les annonceurs, montrait que huit interviewés sur dix étaient « optimistes » concernant l’avenir. « La bascule s’est jouée en 2020, reprend Catherine Testa. Il y a une autorisation du monde de l’entreprise à en parler. Les émotions sont contagieuses. »

Selon OpinionWay, un Français sur deux compte sur les chefs d’entreprise pour rester optimiste. Un challenge qui n’effraie pas Michaël Noblot, directeur délégué de la Technopole de l’Aube, doté d’un méga incubateur pour six établissements d’enseignement supérieur privés. « On a le flux entrant de projets le plus important jamais enregistré depuis la création [soit 1992], explique-t-il. Si on parle naturellement de bienveillance, c’est moins vrai pour l’optimisme. Mais cette valeur fait partie de l’ADN de nos porteurs – sinon ils feraient autre chose… Ils resteraient salariés. »

Filon commercial

La tendance se dessine. De Moselle, très orientée sur « l’upcycling » à base de quincailleries rouillées, Katia Humbert se définit comme une « artiste peintre optimiste ». « Le libellé surprend, voire interpelle, constate-t-elle, mais permet de se positionner, d’exister sur le marché. Il y a un filon commercial. » L’Institut supérieur de communication et publicité (Iscom) en a fait son fil rouge depuis septembre. Le plan de bataille de la nouvelle directrice Caroline Grassaud ? « In communication we trust », lâche-t-elle. Le changement positif (« positive shift ») constitue une colonne vertébrale pour tout le développement. « C’est un parti pris », ajoute-t-elle. Fondatrice associée du cabinet de recrutement WOM, Solène Vivier préfère parler de « ressort, qui vient limiter le turn-over ».

Ce levier n’a pas échappé à Christelle Delavaud, manager d’offre et d’expertise sur le développement personnel au sein de Cegos, acteur de la formation professionnelle en France. « Développer son optimisme » est un nouveau programme de deux jours inscrit au catalogue en 2024. À quoi cela sert-il ? Comment le travailler ? Comment garder le cap ? Autant d’items abordés, et déjà cinq sessions organisées. « Le démarrage est bon, précise-t-elle. On a besoin de s’outiller pour s’adapter à cet environnement "Bani", à savoir "fragile, anxieux, non linéaire et incompréhensible". Deux ans sont nécessaires pour installer un cursus. Mais, là, en matière de soft skills, on va un peu plus loin. Toutefois, on ne doit pas assister à un transfert de responsabilités de l’entreprise vers le collaborateur. Il faut y travailler tout au long de l’année. »

La partie n’est pas encore gagnée. « Le mot ne fait pas partie des référents managériaux, déplore Didier Pitelet, alors qu’il le devrait. L’optimisme compte parmi les valeurs fondamentales trop souvent oubliées dans les entreprises. » Et sans doute, plus encore aujourd’hui. Professeur à l’École de management (EM) de Lyon, Philippe Silberzahn assène : « Quand je discute, je l’entends : l’optimisme est mal vu ! La mode est au pessimisme. C’est un vrai sujet, un enjeu pour la France. À défaut, il y a un risque de démission générale. »

Trois questions à Laura Lange, docteure en philosophie pratique, conférencière

Êtes-vous fréquemment sollicitée pour parler d’optimisme en entreprise ?

Le mot est à la mode. Il l’a été même davantage sitôt après le covid. L’optimisme résonne comme quelque chose à conquérir, mais ce terme est en même temps galvaudé. Si l’optimisme est raisonné, il nous invite à réfléchir. Il correspond à un processus d’actions pour faire face au monde. En dix ans d’exercice, je vois l’évolution. L’engouement des entreprises pour les mots qui invitent à faire un pas de côté est palpable. La sensibilité aux sciences humaines aussi. À défaut d’avoir des réponses dans ce monde où plein de choses sont remises en cause, on est traversé de questions.

Est-ce à l’entreprise de doper le moral de ses collaborateurs ?

On ne peut pas demander aux autres d’être optimistes si on ne l’est pas soi-même. Si on ne l’incarne pas. La question à se poser : comment je peux optimiser ce que j’ai ? Il faut se souvenir des mots du philosophe Alain : « Si le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté ». Il faut rendre les mots vivants, et donc motivants. Comment je peux miser avant tout sur moi. Il faut se rendre optimiste.

Mais ne sommes-nous pas dans une société dans laquelle on attend des autres ?

L’optimiste ne s’attend pas au meilleur, il fait en sorte qu’il arrive. Aussi, qu’est-ce que le meilleur pour l’entreprise ? À l’échelle individuelle ? Comment je peux – à l’échelle du collectif - agir ? Que dit d’ailleurs Candide sous la plume de Voltaire ? Qu’il faut envoyer du bois pour être optimiste. Aussi, l’idée à retenir est de prendre part à l’élan donné par l’entreprise. Le langage est ce qui engage. Il est fédérateur. Pour autant, il faut se méfier des mots à la mode. L’absence de cohérence entre les mots et l’action créé de la co-errance.

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