Comment compenser le départ à la retraite d’un quart de ses effectifs ? La filière du luxe et de la mode a trouvé parmi les personnes en reconversion des profils qui se distinguent par leur motivation et leur agilité.
Le secteur est dans l’urgence. « Le nombre de départs à la retraite d’ici à 2035 devrait concerner à peu près un quart des effectifs, ce qui pose un problème de transmission des savoir-faire qui, pour certains, demandent une dizaine d’années d’expérience », explique Frédérique Gérardin, déléguée générale du comité stratégique de filière « Mode et Luxe ». La question est d’autant plus pressante que la branche doit recruter chaque année 10 000 personnes dans des métiers techniques.
Les personnes en reconversion répondent-elles bien à ce besoin ? Elles ne manquent pas de qualité, relève Frédérique Gérardin : « Nos professionnels apprécient beaucoup de travailler avec elles parce que ce sont des personnes qui ont motivé leur projet. Elles ont le sens des responsabilités, de la maturité et une capacité de ce fait à intégrer rapidement les codes de l’entreprise. Elles sont extrêmement impliquées et souvent arrivent dans ces secteurs en ayant nourri leur projet, contrairement à des jeunes qui parfois peuvent être orientés en CAP par défaut. »
Quête de sens
Mais comment se former ? Si le secteur compte 250 écoles ou organismes de formation, se réorienter vers les métiers techniques du luxe reste un parcours long et coûteux, d’où l’intérêt de recourir à un dispositif comme celui proposé par l’association Transitions Pro IDF. « Dans les métiers du luxe, les PTP - projets de transitions professionnelles - sont mobilisés essentiellement dans les métiers de la fabrication, c’est-à-dire tout ce qui touche aux techniques de la bijouterie, de la maroquinerie et puis les métiers de la confection et du vêtement, indique Stéphane Maas, directeur de cette structure. Ces trois secteurs représentent 80 % des reconversions vers les métiers du luxe. »
Les cadres sont particulièrement intéressés puisqu’ils représentent 14 % des trajets de reconversion vers ces activités, soit 5 points de plus par rapport à leur niveau moyen dans ce type de parcours. Autre particularité : leur choix de qualification. « Les cadres en reconversion s’orientent à 72 % vers des formations d’un niveau inférieur à celui de leur formation initiale, relève Stéphane Maas. C’est un point de spécificité de la dimension fabrication dans le domaine du luxe. Ces personnes se réorientent vraiment vers une dimension de réalisation concrète, vers un métier qui s’articule avec la notion de quête de sens. »
Le jeu en vaut-il la chandelle ? Le succès semble au rendez-vous puisque 95 % des postulants réussissent leur reconversion et enregistrent, six mois après leur formation, un taux d’emploi de 67 %. Une part non négligeable (16 %) décide de continuer à se former. Ce flux de reconversions ne représente cependant que 6 % de l’ensemble des projets de transition professionnelle, soit, en chiffres absolus, 150 projets. Transitions Pro IDF compte lancer en 2025 une plateforme « Mon coach reconversion » pour améliorer l’attractivité des secteurs en tension, dont la filière du luxe.
« Carrières passionnantes »
Les opportunités actuelles du secteur pour les personnes en reconversion vont-elles se raréfier à mesure que ces métiers regagneront leur lustre perdu auprès des plus jeunes ? L’hypothèse reste très incertaine compte tenu des attitudes des représentants de l’Éducation nationale. Une situation qui exaspère Bénédicte Épinay, déléguée générale du comité Colbert : « Quand j’entends la nouvelle ministre de l’Éducation [Anne Genetet] dire qu’elle entend élever le niveau du brevet, sous entendant clairement que les élèves en échec iront dans la voie professionnelle, ce n’est pas acceptable. Il faut arrêter d’entretenir cette idée d’une voie royale par rapport à une voie supposée dégradée. Le CAP prépare à des métiers dans lesquels on peut développer des carrières passionnantes. Je croise tous les jours des artisans heureux. »
Pour redresser la barre, le comité Colbert diffuse depuis 2023 des vidéos sur Tiktok, réseau avec lequel il a lancé conjointement le hastag #SavoirFaire. « Il a dépassé les 740 millions de vues et même si cela ne suffit pas, cela me rend très optimiste pour la suite », explique Bénédicte Épinay. En attendant les résultats de ces campagnes, sans doute en deçà des attentes puisque de très nombreux secteurs cherchent à attirer de jeunes recrues, les salariés en reconversion continueront d’être accueillis à bras ouverts dans les filières du luxe.
Quelle part représentent les personnes en reconversion dans vos effectifs ?
Notre nouvelle promotion d’apprentis, entrés en formation à L’institut des Métiers d’Excellence LVMH, présente des profils très variés. Ils ont entre 16 et 58 ans et des parcours de reconversion parfois vertigineux. Nous avons une jeune femme qui était danseuse à l’Opéra de Paris, ou un monsieur de 50 ans qui était agent en assurances et qui vient se reconvertir dans les métiers de l’horlogerie. Nous avons aussi une juriste en droit privé qui s’est reconverti dans les métiers de la vigne ou une ancienne topographe militaire de l’Armée de terre dans la maroquinerie.
En quoi se distinguent-elles particulièrement ?
Les personnes en reconversion sont déterminées. Et il le faut. Elles sont parfaitement conscientes que c’est aussi recommencer un nouveau parcours. Lorsqu’on a été juriste et qu’on a fait ses preuves dans son entreprise, devoir refaire ses preuves dans les vignes, c’est un défi car ce ne sont plus du tout les mêmes compétences qui devront être mises en œuvre. Mais cela crée une hybridation des compétences qui vient de l’apport d’une profession vers une autre.
Qu’apportent ces personnes à LVMH ?
Chez LVMH, nous avons plus de 280 métiers de savoir-faire. Sur les métiers de la maroquinerie, qui exigent beaucoup d’agilité et de dextérité, nous avons des personnes en reconversion qui ont eu une expérience en cabinet dentaire ou même en salon d’esthétique. Elles apportent cette dextérité aussi dans nos ateliers et contribuent à enrichir les gestes de pratique maroquinière.