RESSOURCES HUMAINES

Après le télétravail et les espaces de détente, place au chien au bureau ! Cette nouvelle tendance, bien que marginale, s’inscrit dans une volonté de renforcer le bien-être des salariés et l’environnement au travail.

La recherche du bien-être des salariés au travail est une préoccupation croissante des entreprises. Des bureaux toujours plus agréables, aménagés par des designers, dotés d’espace de détente (ah, l’iconique baby-foot des start-up des années 2000…), voire de repos, des crèches au travail, de salles d’allaitement, des services pour les salariés (pressing) ou leur famille (coaching sportif ou accompagnement scolaire) sont de plus en plus proposés…

Depuis le covid, le mouvement s’est accéléré. Les salariés apprécient les avantages du télétravail et les entreprises doivent redoubler d’imagination pour les faire revenir au bureau, mais aussi les garder dans leurs effectifs. Avec cette flexibilité accrue, les frontières entre vie perso et vie pro se brouillent. Les salariés veulent retrouver au travail le même confort qu’à la maison. Et pourquoi pas amener leur chien au travail à la façon d’Arlette (Liliane Rovère) dans la série Dix pour cent

La pratique se développe, même si elle est encore marginale. En France, Google, Ubisoft, Dentsu, une partie du groupe Nestlé (Purina, Netslé Waters, Nespresso…) ou BackMarket adoptent des dispositions « dog friendly ». Purina, le spécialiste de l’alimentation pour chiens et chats (groupe Nestlé), a été logiquement précurseur en Europe. L’entreprise a développé à partir de 2016 le programme « Pets at work » dont l’objectif est de créer un guide des bonnes pratiques et un réseau d’entreprises « pets friendly », avec 200 sociétés en Europe.

Pour pouvoir emmener leur chien, les salariés doivent signer la charte Pets at work, dans laquelle ils reconnaissent en être responsable sur le lieu de travail. L’animal doit être à jour de ses vaccins et avoir fait une visite chez un vétérinaire comportementaliste pour vérifier qu’il n’a pas un comportement dérangeant ou dangereux. Lors de son arrivée, le collaborateur signale sa présence via son badge et doit suivre un parcours spécifique (ascenseur dédié notamment) pour éviter les rencontres avec ceux qui ne veulent pas croiser un canidé (allergie ou phobie, par exemple). Le chien doit rester avec son maître lors de ses déplacements dans l’entreprise et ne peut accéder à la cantine. Des collègues bénévoles jouent alors les « pet sitters ».

Chez Dentsu France, la politique « pet friendly », mise en place fin 2022, est clairement liée aux attentes post-covid. « Depuis la pandémie, les frontières entre travail et maison sont devenues plus floues, nous avons donc fait tout ce qui était possible pour améliorer les conditions de vie au travail (accords QVT, congés parentaux ou fausses couches, congé aidant, congé humanitaire, création d’une salle d’allaitement…) », précise Grégory Guyot, directeur de la communication et initiateur de la politique « dog friendly ». « Ces dispositions inscrites dans notre règlement intérieur sont assez symboliques de l’attention et de l’écoute que la direction porte aux attentes de ses collaborateurs. » Avant d’ouvrir ses portes aux chiens, l’agence a mené un référendum ; les salariés se sont prononcés à 80 % en faveur des chiens dans l’entreprise.

Briseurs de barrières

Pour ses promoteurs, la démarche « dog friendly » participe au bien-être des employés, à l’atténuation des tensions mais aussi à une plus grande cohésion sociale (les chiens aidant, selon eux, à briser les barrières entre collègues, et favorisant une atmosphère plus détendue et plus collaborative. Enfin, cela apporterait aussi un soutien psychologique ou émotionnel nécessaire pour résister au stress.

« La présence des chiens au travail s’inscrit clairement dans une démarche de réduction des risques psychosociaux (RPS) », constate Isabelle Barth, professeure agrégée des universités et chercheuse en sciences du management. « L’intérêt, par rapport à des initiatives comme l’aménagement des espaces de travail ou au mobilier qui sont plutôt réservés à certains salariés bénéficiant d’un certain statut dans l’entreprise, c’est que cela touche un plus large nombre de salariés, cela concerne aussi la secrétaire ou le standardiste. »

Mais ces dispositions sont loin de toucher un large public : « Cela ne concerne qu’une petite minorité des entreprises, les grands groupes du CAC 40 ou de la Défense. Dans l’industrie, la grande distribution, les services publics, tout cela est très loin… », relativise-t-elle. De fait, si chez Purina une trentaine de collaborateurs (sur les 300 en France) vient avec son compagnon à quatre pattes, ils ne sont qu’une vingtaine dans les autres entités françaises du groupe Nestlé signataires du Pets at work (2000 salariés) et une dizaine chez Dentsu France (sur les 950 salariés).

Mais le mouvement s’installe doucement. Il est jugé suffisamment viable pour qu’Anne Quemin, ancienne directrice de Leboncoin, ait créé avec Marie Gagnepain l’agence Poilu.s pour accompagner les entreprises à rejoindre le mouvement « pet at work ». Partants ? La France compte 26,8 millions de salariés… et 7,6 millions de chiens. Même si leurs maîtres ne sont pas tous des actifs, cela fait du monde.

Trois questions à Thibaut Bardon, professeur et responsable de la recherche en management à Audencia

De nombreuses entreprises proposent des mesures pour améliorer le bien-être des salariés. Comment cela s’inscrit-il dans l’évolution de la relation au travail ?

Alors que jusque dans les années 1980 le travail est principalement perçu comme un moyen de toucher un salaire et des avantages matériels, il devient ensuite aussi un levier d’épanouissement personnel : pour faire carrière, mais aussi améliorer son bien-être, etc. À partir du début des années 2000, les entreprises s’inscrivent dans cette tendance en proposant de nouveaux services à leurs salariés pour améliorer leur bien-être (crèche au travail, pressing, etc.), les bureaux ressemblent de plus en plus à des lofts new-yorkais et les chief happiness officers font leur apparition. Le mouvement s’est accéléré après le covid.

Quelles sont les limites de telles mesures ?

Il est important de pouvoir mesurer les effets de bord de telles initiatives qui reposent largement sur la croyance selon laquelle un salarié heureux est plus productif. Or, le bonheur n’est pas forcément un levier productif. De telles mesures représentent des investissements significatifs alors que leur efficacité économique n’est pas prouvée.

Les initiatives pour améliorer le bien-être au travail peuvent aussi rendre encore plus floues les frontières entre maison et bureau, la vie professionnelle pouvant cannibaliser la vie personnelle. Cela peut aussi conduire à un surinvestissement émotionnel des salariés dans leur travail et à un risque accru de burn-out : mes collègues sont aussi mes amis, mon bureau est ma deuxième « maison »… Si je perds son travail, je ne perd pas que mon activité, mais aussi une large part de ma vie sociale.

Dans cette logique, des entreprises proposent à leurs salariés de venir avec leur chien. Qu’en pensez-vous ?

Le problème avec ce type d’initiatives c’est que cela risque d’éluder les vraies questions. Quand on concentre son discours sur la présence de chiens au travail, cela peut gommer celles, essentielles, sur la qualité du management. Plus largement, est-ce à l’entreprise de prendre en charge le bonheur des salariés à tout moment ?

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