L’IA générative accélère significativement l’exécution de certaines étapes du process de recrutement. Mais la vigilance reste de mise pour éviter les résultats inattendus, voire les « hallucinations ».
À l’heure des pénuries de talents, une IA générative comme ChatGPT peut-elle aider les recruteurs ? « C’est un outil qui peut réduire de 30 % ou 40 % la durée du recrutement », estime Dan Guez, PDG et cofondateur du cabinet de recrutement OpenSourcing. Et pour cause : ce nouvel outil peut en effet prêter main forte aux recruteurs sur bien des tâches. Il peut les seconder dès le départ du processus lorsqu’ils doivent rédiger une fiche de poste ou une annonce d’offre d’emploi. Pour Thomas Vergnaud, ancien ingénieur IT fondateur de Welcode, une structure destinée à donner des repères technologiques aux recruteurs, le gain de temps peut être important : « J’évalue le temps gagné à 40 % en moyenne par rapport à une rédaction partant d’une feuille blanche. » Mieux encore, il est possible de demander, à travers un prompt [texte rédigé à destination de l'IA pour qu'elle produise un résultat], des modifications ou des améliorations à ce premier jet : le synthétiser, le rendre plus dynamique, etc. « Il est même possible de demander à l’IA de rédiger l’annonce en prenant en compte le point de vue du candidat pour la rendre plus attractive », ajoute Thomas Vergnaud.
Toujours dans le champ rédactionnel, l’IA générative peut aussi aider le recruteur à rédiger les messages d’approche de potentiels candidats qui sont déjà en poste pour la plupart. « Pour susciter leur intérêt, il faut un message persuasif, court, dynamique mais aussi personnalisé, empathique et… bien rédigé, explique Thomas Vergnaud. Il est possible de demander à ChatGPT de trouver un lien intéressant entre l’offre et le profil repéré pour élaborer le message d’approche. La personne aura l’impression que le recruteur a pris le temps d’analyser son profil et de comprendre ce qu’il fait, cela a plus de chances de susciter son intérêt. »
Cet outil sera encore plus précieux dans les PME. « Dans ces structures, ce sont alors les opérationnels qui sont le plus souvent chargés du recrutement et c'est un process qu'ils ne connaissent pas, souligne Marko Vujasinovic, PDG et cofondateur de CleverConnect. Il faut aussi relever que la maîtrise de l’écrit a globalement tendance à se dégrader et que beaucoup de recruteurs s’inspirent des autres offres d’emploi, ce qui auto-entretient la situation. Or la rédaction d'une offre d'emploi n'est pas quelque chose de facile. On voit d'ailleurs que beaucoup de recruteurs s'inspirent d'offres existantes qui peuvent présenter les fautes d'orthographe ou des phrases difficiles à comprendre par exemple. »
Autre tâche importante que l’IA générative peut prendre en charge : la rédaction de messages personnalisés adressés aux postulants qui n’ont pas été recrutés. « S’ils ont été recalés lors de la deuxième étape du recrutement, lors des questions sur leur métier, le message pourra leur apporter les motifs de leur échec et un peu de réconfort avec une tonalité empathique, explique Thomas Vergnaud. S’ils ont échoué dans la dernière phase du recrutement, l’IA pourra élaborer un message plus personnalisé, indiquant par exemple quelle était la bonne réponse à apporter et des recommandations de lecture pour combler cette lacune. » De quoi largement améliorer l’expérience candidat, estime le spécialiste.
L’IA générative peut aussi synthétiser un résumé et permettre d’effectuer un tri en fonction des compétences recherchées par l’entreprise, ce qui, là aussi, permet un gain de temps important. Il devient possible d’avoir très rapidement des short-lists ou de dénicher le candidat maîtrisant une compétence très particulière. Autre cas d’usage très fréquent : la génération de questions, et des réponses associées, pour mener l’entretien avec le candidat… « Il est même possible de préciser que l’on souhaite tant de questions ouvertes et tant d’autres fermées, précise le dirigeant de Welcode. Cela permet de gagner du temps avant les tests techniques et donc d’accélérer le recrutement. »
Des résultats inattendus
Si l’efficacité est au rendez-vous, l’IA générative reste malgré tout perfectible. La Fabrique digitale de la direction numérique, à la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), a ainsi développé avec un élève-ingénieur un algorithme à base d'IA pour le tri des CV et des lettres de motivation, afin de soulager l'équipe RH de cette tâche très chronophage. Tout ne s’est pas passé comme attendu, se souvient Belkacem Laïmouche, le responsable de la Fabrique digitale : « Il peut y avoir des résultats inattendus. Imaginons par exemple un candidat qui met en avant son aptitude à travailler dans un contexte difficile, sous contrainte de temps, avec des équipes parfois difficiles à manager. Toutes ces qualités peuvent être appréciées par un recruteur mais un algorithme peut écarter cette candidature parce que le vocabulaire utilisé a une connotation négative, ce qui peut laisser penser que cette personne a un tempérament négatif... Sur les 25 candidatures testées avec cet algorithme, certaines ont été rejetées alors qu'un recruteur les aurait acceptées. Il faut donc faire attention au référentiel fourni à l'algorithme et surtout faire des tests sur un cas d'usage bien identifié. »
Cela ne signifie pas pour autant que le métier de recruteur est appelé à disparaître. « Maîtriser ChatGPT va devenir une compétence à part entière du métier de recruteur, anticipe Thomas Vergnaud. Ceux qui ne voudront pas acquérir la maîtrise de cet outil ne seront pas remplacés par l’IA mais par les candidats qui maîtrisent l’IA. » Et qui ont la capacité de formuler les bonnes demandes à une IA. La course à l'ingénierie de requête (« prompt engineering ») est lancée.
La méthode de Dan Guez, PDG de OpenSourcing, pour utiliser au mieux l'outil phare d'OpenAI dans le recrutement.
« Il ne s’agit plus de fixer des critères à respecter mais de formuler une demande en indiquant un contexte ou un cadre aussi précis que possible. J’ai mis au point une méthode pour mes collaborateurs, intitulée OCR (Ordre, Contexte et Résultat) qui permet de formuler un prompt [une requête] cohérent et complet. Il s’agit donc d’abord de fournir une instruction claire, par exemple “Rédige une offre d’emploi pour un poste d’électricien”, puis un contexte (les compétences requises, l’expérience, etc.), puis le résultat attendu (offre d’emploi qui présente telles caractéristiques, puis un envoi automatisé et personnalisé de mails aux candidats avec des messages présentant lesdites caractéristiques). C’est ChatGPT qui va décider qui contacter, il ne s’agit plus de scénarios bien précis qui ont été automatisés, comme dans le marketing digital. Les recruteurs doivent se former à ChatGPT pour faire de bons prompts pour éviter de susciter des discriminations ou des hallucinations [données fictives] ».