En ne désignant pas de Premier ministre, Emmanuel Macron prend le risque de se donner une image de président hésitant, en contradiction avec le volontarisme politique qu'il manifestait.
Six secondes, c’est le temps qu’il restait aux handballeurs français avant d’être champions olympiques. Jusqu’à ce temps mort demandé par l’entraineur français, puis cette passe ratée, et cette interception fatale par l’équipe allemande qui fait de ce moment une des images les plus cruelles des JO pour les Bleus. Six secondes… Avec un but d’avance, ne fallait- il pas faire simplement « tourner » comme disent les spécialistes ?
La situation du président de la République est diamétralement opposée. Lui ne mène pas au score. Cela fait près de 100 jours qu’il s’est auto-infligé par une dissolution aussi surprenante qu’inconséquente, une lourde défaite aux élections législatives. Cela fait, au moment où ces lignes sont écrites, 42 jours que son gouvernement démissionnaire expédie les affaires courantes. Pourtant le président a opté pour la tactique inverse : il a lui choisi au contraire de jouer pleinement la montre. Refuser de jouer la montre quand on est tout près de l’emporter, jouer la montre quand on perd, les deux voies opposées n’ont-elles pas en commun d’être vouées à l’échec ?
Le sport n’est pas la politique, objecterez-vous avec raison. Arrêtons-nous alors sur la politique et laissons les débats sportifs aux pratiquants et aux experts. S’agissant de la question du timing de nomination d’un nouveau Premier ministre, Emmanuel Macron pouvait compter dans un premier temps sur une forme de mansuétude de l’opinion : six français sur dix approuvaient l’idée d’une trêve politique pendant les JO, et un sur deux considérait que ce n’était pas un problème que la France reste sans gouvernement de plein exercice jusqu’à la rentrée. Mais désormais la rentrée est là. Les salariés vont reprendre le chemin de l’entreprise, les enfants celui de l’école, mais les ministres n’ont eux toujours pas retrouvé celui de l’Élysée pour leur réunion hebdomadaire du mercredi.
Pourtant les problèmes qui expliquent en partie les résultats électoraux du printemps se rappellent déjà à l’agenda : les questions sécuritaires omniprésentes, les services d’urgence des hôpitaux à nouveau sous pression, les agriculteurs inquiets, les chefs d’entreprise dans le doute, le budget en attente, la Nouvelle-Calédonie sous tension. Pour le président de la République, le temps est désormais compté. D’abord pour son image personnelle : ce qui était d’abord perçu comme un « délai » acceptable deviendrait « hésitation » où difficulté à décider. Ensuite parce qu’une inaction prolongée viendrait percuter l’ADN du macronisme : le volontarisme politique.
C’est pour cela que, quelle que soit in fine la coalition politique aux manettes, il n’est pas possible de ne pas rapidement redonner à des citoyens qui se sont rendus massivement aux urnes des priorités d’action lisibles par eux. C’est pour cela qu’il serait dangereux de laisser s’installer la petite musique selon laquelle l’absence de gouvernement ne serait finalement pas si grave au risque de décrédibiliser davantage les politiques. C’est aussi pour cela qu’il ne serait pas logique aux yeux de l’opinion d’avoir dissout puis voté si vite sous-entendant ainsi une forme d’urgence pour ensuite laisser s’écouler plusieurs semaines de rumeurs, de ballons d’essai jusqu’à ces journées de consultation.
Reste un dernier point. Si tous les observateurs s’accordent sur l’idée que le pays va connaître une instabilité politique dont il n’était pas coutumier, les Français seront prompts dans les prochaines semaines à en rechercher les responsables. En donnant le sentiment qu’il n’actait pas rapidement le verdict, même confus des urnes, le blocage à venir pourrait lui être imputé par l’opinion.
Forcément conscient de tous ces risques et sous pression désormais, Emmanuel Macron va donc dans les prochains jours nommer un nouveau Premier ministre. Mais il aura pris le risque pendant ces longues semaines d’avoir donné le sentiment qu’il cherchait d’abord à jouer la montre. Pas sûr, pour celui qui se voulait « maître des horloges », que le choix d’avoir mis les aiguilles trop longtemps sur pause ait constitué la meilleure stratégie dans le match de l’opinion.