[Tribune] Aujourd’hui, les marques investissent de nouveaux territoires en embarquant avec elles des designers et des artistes. Et si c’était l’inverse ?
Web3, métavers, NFT : nous sommes tous partis en vacances avec ces mots en tête, frôlant l’overdose. Toute l’année durant, nous n’avons eu de cesse de nous acculturer, d’apprendre, de répéter, de se réinventer, de s’improviser expert de ceci, spécialiste de cela, légitime et visionnaire parce que vous comprenez, nous, on a tout compris. Dont acte et Sainte-Trinité de la blockchain, priez pour nous.
Il y a ceux qui y croient, investissent, achètent, réussissent. Il y a tous les autres qui ont essayé, perdu ou pas encore gagné beaucoup d’argent mais quand même, ça fait bien d’en être et donc on s’en fout. Certains considèrent l’époque comme une seconde Renaissance : les processeurs à la puissance exponentielle ont remplacé la presse de Gutenberg. Si la bulle NFT éclate un jour, le Web3, lui, est bien parti pour durer. Et c’est tant mieux parce qu’on se réveille, on s’agite, on expérimente, on avance et on se remet à réfléchir et à créer.
En s’appropriant les nouveaux codes liés à l’ultra-numérique, les marques s’intéressent et s’associent aux nouvelles formes d’expressions artistiques. Le moment est grisant pour nous autres designers et artistes : nous nous sentons entendus et attendus, notre créativité et nos savoir-faire sont mis au défi. Nous avons la responsabilité de répondre aux innombrables questions que les nouveaux usages imposent et d’imaginer les non moins innombrables possibles amenés par les nouvelles technologies.
Un coup de projecteur sans précédent
Si le design est partout dans notre quotidien parce qu’il est par essence fonctionnel et doit s’adresser au plus grand nombre, la culture artistique n’a pas eu cette chance jusqu’à maintenant, quoi qu’en dise Ben («L’art est partout», ndlr). Or le progrès d’une société qui doit aujourd’hui plus que jamais interroger son humanité est intimement lié au regard de l’artiste, à sa capacité à innover et provoquer : il révèle nos émotions, il éveille notre esprit critique. Refik Anadol transcende la data en un flot de pixels, immergeant le spectateur dans un paysage onirique. Lorsque ses créations ne figurent pas sur des sacs Vuitton, Beeple n’a de cesse de fustiger la pop culture et les grands de ce monde.
Le phénomène NFT est un coup de projecteur sans précédent qui sert clairement la cause de l’artiste : la diffusion et la rémunération suivie de son œuvre habilite son statut d’acteur responsable qui contribue, avec le designer, à la construction d’un monde plus éclairé. Autre irruption au pays de la création : l’intelligence artificielle. Un outil que le designer parviendra plus difficilement à dompter que l’artiste, dont certains sont déjà virtuoses en la matière. Quand le designer ne crée que l’interface, l’artiste multiplie et enrichit les expériences.
Retenons donc en cette rentrée le sursaut créatif que provoque l’émergence du Web3 : une formidable opportunité que les marques se doivent le soutenir comme une invitation, le passage nécessaire entre le monde réel et les mondes virtuels. La feuille de route évoluera souvent car la destination est inconnue : il ne s’agit pas seulement de conquérir mais de cultiver de nouveaux territoires, de partager une vision, de donner du sens au voyage. Un voyage que façonne le designer et qui donne à l’artiste les moyens de ses ambitions, enfin !