Pierre-Yves Meerschman, cofondateur et partner du fonds Daphni, revient sur les raisons de la hausse des faillites de start-up de la French tech.
Un récent rapport de la Banque de France estime que 53 start-up ont fermé sur le premier semestre 2024 et 76 en 2023. Un record. La French Tech est-elle en danger ?
Pierre-Yves Meerschman. Avant toute considération macroéconomique, il ne faut jamais oublier qu’il est normal que des boîtes se plantent. La sélection naturelle, c’est même sain dans le monde des entreprises. Et ce n’est pas propre à la french tech. La Banque de France a pris dans ses critères les entreprises de plus de 750 000 euros de chiffre d’affaires ou qui avaient levé 3 millions d’euros. Mais même de telles levées ne garantissent pas le succès… Ce que nous dit l’étude, c’est qu’il y a une accélération du phénomène. Reste à savoir ce qui est de l’ordre du structurel ou du conjoncturel. On discerne évidemment des raisons conjoncturelles. Les start-up se sont vues globalement très bien financées entre 2016 et 2022. Et cela s’est arrêté en 2023 du fait d’un phénomène de surchauffe. Il y a eu un décrochage entre la perception des marchés par les investisseurs et celle des patrons de boîtes. Ces derniers demandaient des valorisations trop élevées par rapport à ce que les investisseurs voyaient. Vous n’avez plus d’accords sur les prix. Donc les deals sont en baisse. Mais de manière générale, on a tendance à être trop positif quand tout va bien, penser que cela ne s’arrêtera jamais, et trop négatif quand cela va mal.
La baisse des taux d’intérêt a-t-elle joué un grand rôle ?
Pas seulement. Selon moi c’est un paramètre d’ordre 2. Car les taux d’intérêt jouent sur les fonds pour lever de l’argent, mais pas sur ceux qui avaient déjà de l’argent à investir. Donc, oui cela a joué un rôle indirect, sans être le cœur du phénomène. Mais les analyses diffèrent aussi selon les secteurs. L’immobilier, par exemple, a été directement touché par la hausse des taux, car le modèle économique leur est intrinsèquement lié. Pour d’autres, l’inflation, par exemple, a aussi joué un rôle. La hausse des taux a créé de l’incertitude économique. C’est ce qui est le plus compliqué à gérer.
Quelles conséquences cela a eues ?
Concrètement, les entreprises ont eu plus de mal à se financer. Elles ont dû donc se restructurer, changer leur business, ajuster leurs perspectives de croissance et s’adapter pour convaincre. C’est cela le cœur de la situation. Pour certaines, cela fonctionne, pour d’autres non. Certaines ont davantage de difficulté à prendre le train, pour plein de raisons différentes. Elles n’arrivent pas à démontrer leur croissance future. À ce moment-là, des investisseurs lâchent l’affaire. L’autre phénomène qui peut venir s’ajouter, c’est la dette. Beaucoup de boîtes avaient des franchises de dettes auprès des banques. Ces dernières étaient sympas pendant le covid, car elles étaient appuyées par l’État. Les parts variables étaient minces. Mais peu à peu le « non-dilutif » (la dette gratuite pas cher) a fini par peser. Et beaucoup de sociétés ont dû commencer à rembourser leurs dettes ou la renégocier. Et c’est là que les banques font des choix en fonction de l’état de vos restructurations. Elles sont plus regardantes, et certaines vous lâchent. Là, vous cumulez les difficultés.
Tout est plus difficile ?
Il faut aussi comprendre que beaucoup d’entrepreneurs sont aussi épuisés. Ils se sont battus pour leur boîte pendant le covid, pour rassurer leurs équipes, leurs investisseurs, les banques. Et rebelote en 2023. Avec le temps, on a moins la gnac, on embarque moins tout le monde, et il devient plus difficile de rester positif. C’est compréhensible