La grande réflexion sur les médias et le journalisme est arrivée à son terme et les équipes ont rendu leur rapport. En voici les cinq propositions phares.

Commencés le 3 octobre 2023, les États généraux de l’information (EGI) souhaitaient accroître l’indépendance des rédactions, sensibiliser à la désinformation ou encore responsabiliser les plateformes. Les acteurs de cette réflexion nationale viennent de rendre leur rapport. En ressort une série de propositions, dont on ne sait pas si elles seront mises en œuvre en raison du contexte politique incertain. En voici cinq à retenir.

Lutter massivement contre la désinformation

Il est difficile de contrôler a priori la désinformation, souvent orchestrée par les puissances étrangères comme la Russie. Le comité de pilotage des EGI préconise « une sensibilisation préventive à grande échelle ». Elle devra être menée dès l’école, où « l’éducation à l’esprit critique et aux médias » doit devenir urgemment une priorité. La sensibilisation à la désinformation et aux manipulations devra être conduite dans « les universités, les entreprises ». Un pilote interministériel devrait être désigné et une meilleure coordination européenne assurée.

Les EGI suggèrent « une labellisation volontaire des influenceurs d’information ». Les acteurs économiques seraient incités à investir dans les médias d’information, au titre d’une « responsabilité démocratique ».

Muscler la protection du secret des sources

« Sans secret des sources, il n’y a pas d’indépendance journalistique », rappelle le comité de pilotage des EGI. Ce sujet était revenu sur le devant de la scène il y a un an, avec la garde à vue de la journaliste Ariane Lavrilleux, après une enquête sur une mission de l’armée française en Egypte. Le secret des sources est protégé depuis 2010 par la loi Dati, mais insuffisamment : il est possible de le lever en invoquant un « impératif prépondérant d’intérêt public », mal circonscrit. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a aussi souligné à plusieurs reprises la nécessité de prévoir l’intervention préalable d’un juge.

Il faudrait de plus légiférer contre les procédures-bâillons, qui consistent à entraver par l’intimidation l’action des journalistes, notamment par la menace de poursuites.

La transparence sur la gouvernance, plutôt que la contrainte

Le sujet était brûlant lors du lancement des EGI, après la grève au Journal du dimanche, dont la rédaction s’est opposée en vain à l’arrivée comme directeur du journaliste Geoffroy Lejeune, marqué à l’extrême droite. Beaucoup y ont vu la main du milliardaire ultra-conservateur Vincent Bolloré, propriétaire depuis peu du JDD. La question de l’indépendance éditoriale a aussi ressurgi en mars, après une crise à La Provence, détenue par l’armateur CMA CGM de Rodolphe Saadé, en lien avec une Une du quotidien régional.

Le comité de pilotage des EGI a opté pour un dispositif peu contraignant : tout actionnaire devrait informer la rédaction de son intention de désigner un nouveau directeur, pour permettre à ses représentants de donner leur point de vue. Le comité d’éthique du média concerné devrait aussi pouvoir rendre un avis.

Le comité de pilotage propose une piste supplémentaire : la création d’un statut de « société à mission d’information », où l’association de la rédaction au changement de son directeur serait obligatoire. Les aides de l’État à ces sociétés seraient bonifiées.

Revoir les règles sur la concentration des médias

La concentration de médias français entre les mains de groupes privés et quelques milliardaires (Vincent Bolloré, Daniel Kretinsky, Xavier Niel, Rodolphe Saadé…) est régulièrement pointée du doigt. Mais dans un environnement dominé par les plateformes et réseaux sociaux, il convient d’appliquer « une nouvelle régulation » des concentrations, prenant en compte « le pouvoir d’influence réel des médias ». L’Arcom, l’autorité de contrôle de l’audiovisuel, pourrait ensuite « mettre en œuvre un examen "à 360 degrés" du pluralisme ».

De surcroît, pour redistribuer aux médias d’information une partie de la richesse captée par les grandes plateformes, une contribution pourrait leur être imposée, assise sur les revenus de la publicité digitale.

Accélérer à l’échelle européenne

Il faut avoir un coup d’avance par rapport aux plateformes, presse le comité de pilotage des EGI. Depuis août 2023 dans l’UE, le règlement sur les services numériques (DSA) oblige les très grandes à plus de transparence et à des actions renforcées contre la haine en ligne et les infox. « L’acte II » doit être préparé, pour tenir compte des avancées technologiques, dont l’intelligence artificielle générative.

Il est suggéré d’imposer aux plateformes d’offrir aux utilisateurs davantage de choix, pour un « pluralisme effectif des algorithmes ». Et si les plateformes sont devenues « les kiosques du XXIe siècle », elles ne doivent pas pouvoir déréférencer ou invisibiliser les sites d’information, selon un principe de non-discrimination.

Vers un droit de suite ? 

Les responsables des Etats généraux de l'information ont plaidé jeudi 12 septembre pour un « droit de suite » à leurs quinze propositions, formulées à l'issue de près d'un an de travaux, en demandant « aux pouvoirs publics et à l'interprofession » de s'en saisir.

« Tout n'est pas parfait, pas complet » et ce n'est pas « un ensemble de formules magiques » mais il faut « une sorte de droit de suite », a expliqué Bruno Patino, président du comité de pilotage indépendant des EGI, par ailleurs président d'Arte, lors de la restitution. « On souhaite de la volonté politique » pour « traduire les propositions en faits », a-t-il ensuite insisté, alors que la formation du gouvernement Barnier est attendue. Nombre de mesures doivent passer par la loi, mais certaines, par exemple sur l'éducation aux médias ou la sensibilisation à la désinformation, peuvent être directement mises en œuvre par l'exécutif. D'autres relèvent de l'Union européenne.

Des propositions « extrêmement timides »

Le comité de pilotage a aussi fait deux recommandations « aux professionnels de l'information » : s'engager dans une démarche de « labellisation » pour « renforcer la confiance » du public, et construire « un outil de gestion collective » pour faire face aux grandes plateformes. Pour répondre à la commande présidentielle, le comité de pilotage s'est inspiré des conclusions de cinq groupes de travail, de quelque 175 auditions et de consultations du public, laissant de côté certaines pistes coercitives ou coûteuses, au risque de faire des insatisfaits.

François Bonnet, président du Fonds pour une presse libre (FPL), a jugé les propositions « extrêmement timides » et « peu en prise avec la situation vécue dans les rédactions » où des pressions rédactionnelles, économiques ou sociales peuvent exister. La députée écologiste Sophie Taillé-Polian a en particulier regretté « l'absence de l'instauration d'un droit d'agrément pour les rédactions » pour la nomination de leurs directeurs.

La présidente de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) Dominique Pradalié a également dit sa « déception » sur la protection du secret des sources ou l'auto-régulation de la presse. Les responsables des EGI ont rappelé leur mission, « garantir le droit à l'information », et qu'ils n'entendaient servir aucun intérêt économique ou catégorie professionnelle.

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