Dossier INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Face à l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle générative, les écoles de communication et marketing adaptent leurs enseignements pour préparer les élèves aux défis de cette révolution technologique. Un article également disponible en version audio.

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Quel étudiant n’a encore jamais essayé un outil d’intelligence artificielle générative ? Depuis 2022, cette nouvelle technologie est devenue largement accessible au grand public via des solutions en ligne, en partie gratuites, telles que ChatGPT pour le texte, Dall-E et Midjourney pour l’image. L’IA est également intégrée aux logiciels sous licence, populaires au sein des écoles de communication et marketing, comme Adobe Firefly et Photoshop. « Dans le cadre de leur professionnalisation, il nous semble contre-productif de vouloir interdire aux étudiants d’utiliser l’IA générative. C’est à nous de nous adapter, en enseignant le bon usage de cette technologie », affirme Stéphanie Chapelle, directrice de l’ECS à Angoulême (groupe MediaSchool, propriétaire de Stratégies). À l’été 2023, cette dernière et plusieurs autres directeurs de campus ont travaillé à la réalisation d’une charte éthique sur le sujet.

Cultiver l'esprit critique

Diffusée sur l’intranet des étudiants, cette charte rappelle l’importance de créditer l’IA, de renseigner les prompts (les consignes données à l’outil) et d’enrichir soi-même les résultats générés. La charte met également l’accent sur le plagiat, la cybersécurité et la protection des données. « En parallèle, nous devons cultiver l’esprit critique et la créativité des étudiants », souligne Stéphanie Chapelle. Émilie Chambon, directrice nationale des programmes de Sup de Pub, acquiesce : « Si les annonceurs ont encore peu recours à l’IA dans leurs campagnes publicitaires, il faut que nos étudiants puissent avoir un avis sur cette technologie, qu’ils sachent l’utiliser. » Car l’IA générative, qui offre un gain de temps et de productivité, est en train de bouleverser les métiers de la publicité (planning stratégique, création, production…) et du marketing digital (achat programmatique, SEO/SEA, e-mailing…).

« Lorsque nous échangeons avec les professionnels, à l’occasion de nos comités de perfectionnement, ils nous indiquent qu’ils se forment à l’IA générative, s’en nourrissent, autant en agence (communication, digital ou événementiel) que chez les annonceurs », relève Émilie Chambon. « Si demain je ne sais pas utiliser l’IA, je n’aurai pas le job », résume de son côté Vincent Montet, directeur du MBA Digital Marketing & Business de l’Efap. « Notre challenge est d’accompagner les intervenants de Sup de Pub sur la transmission de leurs connaissances et l’évaluation des travaux étudiants produits avec les IA génératives », ajoute Émilie Chambon. « L’ensemble de nos intervenants ont la consigne de traiter l’IA générative sous deux aspects : comment cette technologie transforme mon industrie et comment je l’utilise dans mon métier », éclaire Vincent Montet.

Au cours de l’année scolaire 2023-2024, l’Efap a rendu « obligatoire » l’utilisation de l’IA générative, sous une condition : les étudiants doivent présenter leur production avec une note méthodologique. « On a un retour d’expérience sur un an : lorsqu’un jeune a rédigé 20 notes, cela ancre une habitude de travail », rapporte-t-il. « On valide l’utilisation de l’IA pour nos étudiants s’ils présentent leur cheminement de pensée - pourquoi ils ont eu recours à l’IA, quel a été leur point de départ - et s’ils détaillent leur prompt », relate également Alexandre Roger, directeur des études de l’Iseg (groupe Ionis), qui précise l’existence d’un cours obligatoire, en 4e année, intitulé « IA generative et prompt engineering ». Et la prise de recul est plus que nécessaire car « l’IA générative est à la création de sens ce que le Thermomix est à la cuisine : c’est utilitaire, automatique, sans effort et sans passion », juge Nicolas Becqueret, directeur général d’E-Art Sup, école de création visuelle, d’animation et jeux vidéo du groupe Ionis.

Semaines de l'IA

Ainsi, pour faire réfléchir les étudiants sur les potentialités et les limites des IA génératives, les écoles ont foisonné de projets (études de cas, ateliers, masterclass et conférences) au cours de l’année 2023-2024. L’ISC Paris en a fait le thème central de ses « semaines transversales » à l’issue desquelles les étudiants ont publié en juillet 2024 un livre blanc retraçant, en six chapitres, les ateliers réalisés (« écriture créative et intelligence artificielle », « comment prompter intelligemment »…). À l’ESP, on cite la mise en place d’une « AI week » et de cours de prompt. À l’École de Condé (groupe AD Éducation), spécialisée dans la communication visuelle et le design, le micro a été tendu à des professionnels à l’occasion d’une table ronde intitulée « IA et métiers créatifs ». À l’Iseg, une semaine « IA et Data » a été instaurée pour les étudiants de deuxième année, avec une série de conférences sur les avancées technologiques.

La tendance va se poursuivre, en particulier auprès des étudiants de 4e et 5e années. En décembre 2024, les étudiants en dernière année du parcours MBA Digital Marketing & Business à l’Efap vont mener une expérience. « Nous allons organiser un “hackathon intelligence”. Il y aura trois groupes d’étudiants pour une même problématique à résoudre. Un premier groupe aura l’usage de l’IA générative, un deuxième pourra seulement surfer sur internet (sans s’appuyer sur l’IA générative), et le troisième aura uniquement droit au papier et au stylo », s’amuse Vincent Montet. En cette rentrée, le terme « intelligence artificielle » se fait aussi une place dans les plaquettes des écoles. « En 2023, on a redéposé l’entièreté de nos diplômes de niveau 7 (bac + 5) auprès de France Compétences, fait savoir Émilie Chambon à Sup de Pub. Si l’IA générative était déjà présente dans nos formations, désormais, les compétences en IA sont formalisées dans tous nos diplômes (Manager du contenu, Direction artistique, Manager de la communication digitale). » Bientôt, l’IA générative s’invitera aussi dans la vie étudiante : à l’Efap, Vincent Montet souhaite mettre en place un chatbot capable de répondre aux questions des étudiants.