TRIBUNE

[Tribune] Le développement des mondes virtuels représente un défi en matière de conformité, d’hégémonie industrielle et d’enjeux écologiques. Autant de questions à se poser dès maintenant.

Nous sommes entrés dans l’ère des univers virtuels avec la candeur de nos premières recherches sur Google : une impression de magie, le sentiment que la technologie peut tout faire. Bientôt, nous évoluerons dans des espaces virtuels pour travailler, nous divertir, rencontrer des personnes. Ces univers seront le prolongement de nos pratiques numériques contemporaines, avec une dimension plus immersive, plus envahissante.

Ainsi, les problèmes non résolus de notre vie numérique d’aujourd’hui seront amplifiés dans notre vie numérique de demain. À l’avenir, il sera difficile de dire non, de protéger nos données, de savoir qui les utilise et de garantir notre souveraineté. Ce sont les pièges des métavers.

La question du consentement

Au cœur de ce piège, il y a notre capacité à consentir de manière libre, éclairée, univoque et spécifique sur l’utilisation de nos données. Dans la vie réelle, l’espace physique représente une limite : le lieu et le temps sont autant de critères pour apprécier un consentement. Dans un univers virtuel, l’ensemble des services est intégré dans une interface unique sans différence de lieu ni de durée. L’objectif du fournisseur de métavers est de proposer une expérience complète et sans friction. Cette fluidité du service ira à l’encontre d’un choix éclairé. L’immersion va créer la confusion.

En effet, les métavers inventent déjà leur dark pattern pour simplifier l’expérience du consommateur tout en récupérant des données en s’arrangeant avec les lois. Ces techniques de manipulation utilisent des dispositifs ergonomiques et techniques qui mettent l’utilisateur dans une position de dépendance, de stress ou de confusion. Concentré sur son état émotionnel, il perd la distance nécessaire pour agir en conscience.

La question du consentement est au cœur de l’équation de conformité des mondes virtuels. L’une des solutions consiste à gérer les autorisations des données depuis une application tierce, maitrisée par l’utilisateur.  Le «privacy by design» et la conception éthique des services en ligne sont des clefs pour écrire ce nouveau chapitre, celui d’une bienséance numérique.

La carte et le territoire de nos données

La deuxième inconnue du métavers est le cadre juridique applicable dans la gestion des données personnelles et des données critiques. Si l’Europe s’est construit un arsenal juridique en matière de données qui fait école dans le monde, les conceptions du droit peuvent différer. Par exemple, dans certains pays, vous pouvez vendre vos données pour accéder à un service alors qu’il est interdit de le faire dans d’autres. Même si vous avez bien consenti, à quel droit se rapporte la valeur de votre consentement ? Dans un métavers européen, un magasin applicatif américain et un service chinois, la base juridique retenue sera un sujet difficile à traiter.

La question des métadonnées est encore plus complexe : vos données de navigation et de connexion constituent un patrimoine à forte valeur ajoutée. Ils permettent de construire des modèles de comportements types qui représentent des actifs de l’entreprise : plus l’éditeur possède de modèles, plus il est capable de prévoir l’avenir de son activité. Nos métadonnées agrégées sont un patrimoine critique, qui dit beaucoup de nos habitudes et représente de la valeur. Ces données doivent-elles être ouvertes, partagées ? Dans quelle mesure représentent-elles un bien public ou sont-elles la propriété des éditeurs ? Autant de questions aujourd’hui en suspens qui seront amplifiées avec le déploiement des nouveaux univers virtuels.

Comprendre la dette des métavers

La troisième inconnue du métavers est la dette générée par l’usage. Notre prise de conscience des impacts des métavers sera aussi violente que nous sommes crédules aujourd’hui. Cette dette sera d’abord écologique, car le nombre de matériels nécessaires pour accéder aux univers virtuels sera sans fin : lunettes connectées, capteurs en tout genre, nous allons constater une course à l’innovation et aux développements d’objets connectés. Les problèmes d’approvisionnements vont perdurer et seront amplifiés.

Cette dette sera également industrielle : le métavers va générer des espaces clos dans lesquels il sera difficile de proposer des solutions alternatives. Une solution logicielle proposée dans un métavers de Microsoft devra-t-elle être hébergée chez Microsoft ? Quels sont les standards technologiques qui vont s’imposer pour assurer l’interopérabilité des solutions ? Nous allons voir apparaitre des industriels en position d’hégémonie, qui ne laisseront que peu de place aux solutions souveraines, à l’image du fonctionnement des suites collaboratives intégrées.

Enfin, nous aurons à traiter une dette informationnelle, car la traçabilité de l’information sera rendue plus difficile du fait du mélange entre information et divertissement dans un univers immersif. Cela aura comme impact l’augmentation des fausses informations et des manipulations individuelles ou collectives, représentant un danger sérieux pour notre souveraineté démocratique.

Un piège multiple, des enjeux majeurs

Au-delà du concept grand public, il est bien difficile de savoir ce que seront les métavers et leurs impacts réels dans la vie des internautes. Seules certitudes, ce phénomène, s’il se réalise, va nous amener à repenser l’ensemble de la chaine de valeur du numérique et de la donnée : l’impact écologique, les questions juridiques, le risque d’hégémonies industrielles.

Déjà bien présents dans notre internet contemporain, ces problèmes constituent un piège dans lequel nous sommes déjà embourbés. Si la promesse est à l’innovation des univers virtuels, leur développement représente un défi en matière de conformité, d’hégémonie industrielle et d’enjeux écologiques.

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