Le combat des agriculteurs résonne dans l’opinion : trois quarts des Français considèrent que ces derniers sont confrontés à trop de normes. Plus globalement, la population s’interroge sur la complexité administrative de notre pays, perçue comme une nouvelle source d’injustice.
Agriculteur, artisan, entrepreneur, professionnel de santé ou de l’immobilier, élu local, et même souvent simple citoyen : la demande de simplification se répand comme une revendication majeure de tous ceux qui ont choisi un jour d’entreprendre ou simplement d’entamer un projet. Le récit des innombrables exemples rapportés dans des témoignages vécus nous permettrait sans doute d’entrer dans le Guinness Book des records ou de mettre à jour une édition mémorable de l’Almanach Vermot. Paperasse inutile, procédures à rallonge, textes contradictoires, les traductions de ce mal français sont nombreuses. Un exemple a ainsi particulièrement focalisé l’attention de tous au cœur de la crise agricole : les 14 textes différents régissant l’entretien des haies. Ce combat résonne dans l’opinion : les trois quarts des Français (1) considèrent que les agriculteurs sont confrontés à trop de normes (résultat enregistré alors que la question précise bien que ces normes ont pour objectif de protéger les consommateurs et l’environnement). Sans s’attarder sur les raisons historiques qui ont sédimenté la complexité administrative de notre pays, essayons d’en voir aussi ce qu’elle déclenche dans l’opinion.
D’abord une interrogation sur les niveaux de décision et sur les compétences de chaque niveau territorial : Europe, État, Région, Département, Communautés de Communes, Mairies, le millefeuille est devenu un pudding indigeste. Il entretient l’idée d’un enchevêtrement de compétences, l’illisibilité des responsabilités (notamment face aux retards), questionne le « qui décide ?» et « qui finance ? » quand il n’introduit pas des doutes sur l’inefficacité voire le gaspillage des fonds publics.
Ensuite, le risque est grand de voir la demande de simplification aller de pair avec la remise en cause de la règlementation environnementale. Sans s’opposer à l’indispensable transition, sans même vouloir la ralentir au vu de son urgence, l’accumulation de normes et règlements pris au nom de la lutte contre le réchauffement climatique pourrait décourager les citoyens convaincus de la cause tant ils semblent installer une écologie de la contrainte au lieu d’une écologie de la mobilisation et de l’action collective.
Dans la jungle administrative
Cette complexité souvent kafkaïenne peut aussi être perçue comme source additionnelle d’injustice. Parce qu’elle donne aux « petits » le sentiment qu’ils sont seuls dans la jungle administrative. Là où les « gros » peuvent s’appuyer sur des juristes, des fiscalistes, des comptables, celui qui ne peut par la taille de son activité recruter une personne en charge de l’administratif se sent livré à lui-même et accablé d’une charge supplémentaire en plus du temps consacré à faire son vrai métier, au commercial ou au recrutement.
La simplification c’est aussi un nouvel échec de la parole publique. Combien de présidents, de Premier ministres ont annoncé une énième croisade contre le fléau ? Pour quel résultat ? À l’exception notable du « prélèvement à la source », et récemment de l’espace personnel qui permet de stocker tous ses documents administratifs et fiscaux, peu de remises à plat spectaculaires des normes et procédures semblent avoir été menées à leur terme. Plus de six ans après sa première élection, Emmanuel Macron en est réduit à confier une nouvelle mission sur ce sujet, là ou beaucoup se disaient que sa promesse de « libérer » de 2017, ajouté à sa fine connaissance de l’appareil d’État dans lequel il avait été immergé, lui permettait de transformer plus rapidement les choses.
Au final, et même sans tomber dans la caricature ou la démagogie, on se demande parfois pourquoi c’est si compliqué de vouloir simplifier.
(1) Sondage Elabe pour BFMTV du 23 Janvier 2024.