Chaque mois, Philippe Pioli-Lesesvre, directeur de création chez The Good Company, livre son point de vue dans la chronique Good news - Un monde en transition, c’est toujours une bonne nouvelle. Il s'intéresse aujourd'hui au contexte anxiogène qui est le nôtre et à ce qu'on pourrait en retirer.
Je reprends ici l’exercice agréable d’écrire une chronique qui propose un regard optimiste sur les changements du monde. Sauf que voilà, le temps qui nous sépare de ma dernière chronique fut chaotique, jalonné de nouvelles inquiétantes, tragiques et j’oserais même dire tristes, avec tout le poids que ce mot peut avoir. Trouver une bonne nouvelle aujourd’hui, même circonscrite à nos métiers, ne serait pas seulement difficile mais peut-être même obscène. Alors je ne vais m’attacher à aucun événement en particulier, mais plutôt au sentiment qu’ils provoquent : l’angoisse.
Et attention, chers amis, vous lisez un spécialiste ! Je ne vous accablerais pas de mon pédigrée névrotique, ne ferais pas l’énumération des dizaines de psychiatres qui m’ont suivi, ni même des quatre ou cinq phobies que j’ai alternativement (voire simultanément) portées comme de pesants trophées. Je ne vous dirais que ceci : je connais. Ce sentiment de panique, l’insupportable tension d’être dans une situation sans recours, la peur qui sourd lentement comme une méchante bête que nourrissent les plus catastrophistes de nos projections, tout ça, comme beaucoup d’entre-nous, je connais.
Alors pourquoi l’angoisse née du changement climatique, de l’instabilité géopolitique ou de la crise économique pourrait être une bonne nouvelle ? Voilà la question à laquelle je vais tenter de répondre. Tout d’abord, comme je l’ai moi-même appris sur le divan, l’angoisse est la preuve que quelque chose ne va pas. C’est une alerte. N’ignorons pas cette douleur de l’âme qui grandit chez nos contemporains. Mais surtout, l’angoisse a une fonction motrice. La nature ne fait rien sans raison, elle est une mère sévère et punitive, mais qui veut nous voir grandir et devenir plus forts.
L’angoisse est une énergie, c’est le début d’un mouvement. Il y a, bien sûr, la peur qui paralyse, celle-là est mortifère. Mais il y a celle qui active d’un coup tous nos muscles pour nous projeter hors de la trajectoire d’une voiture qui nous fonce dessus. C’est bien évidemment de cette deuxième dont il faut se servir, qu’il faut apprivoiser. Ne nous détournons pas de ce qui nous terrifie, regardons-le droit dans les yeux. Prenons des extraits des rapports du GIEC, ou des dépêches sur la chute du pouvoir d’achat ou sur la situation dans tel ou tel coin de la société, dans telle ou telle communauté, et collons tout ça sur le dos de notre paquet de céréales, ça nous fera de la lecture. Le petit déjeuner n’aura pas meilleur goût, je vous l’accorde, mais nous partagerons l’esprit du temps, condition à mon humble avis nécessaire pour bien faire nos métiers.
Une friction qui pousse au travail
On nous taxe trop souvent de vendre du rêve, alors offrons du réel. Rappelons-nous qu’une angoisse qu’on ignore grandira, alors qu’en parler, la «sortir», peut aussi avoir le salutaire effet de la réduire. Freud empruntait la catharsis à Aristote pour rendre compte de cette dynamique. Et puis, à partager cette tension, nous trouverons l’énergie nécessaire pour précipiter le changement qu’on attend de nous, car si l’envie de nous reposer venait à nous prendre, l’angoisse saurait nous piquer les fesses pour nous remettre en mouvement.
Nous ne réagissons pas tous de la même manière aux événements du monde, et peut-être que certains lèveront les yeux au ciel, trouveront ce texte déprimant car ils ont la chance de goûter une tranquillité et un optimisme enviables. Tant mieux pour eux ! Je ne nous demande pas de paniquer, mais de regarder objectivement les causes qui soutiennent l’éco-anxiété ou la peur de l’avenir afin d’essayer d’y apporter les solutions que notre périmètre d’action autorise.
L’angoisse est bien une douleur, mais c’est aussi une friction qui pousse au travail, qui génère des lumières, des solutions, des «eurêkas !» criés en brainstorming. Ainsi, ce que je nous propose, chers compagnons d’infortune, ce n’est pas de nourrir nos angoisses mais de s’en nourrir. De prendre toute l’énergie qu’elles nous offrent pour nous permettre d’éviter les dangers qui les font naître. À l’autruche insouciante, préférons l’aigle anxieux qui voit tout ; c’est encore lui qui ira le plus loin.