Acteurs publics et entreprises doivent désormais changer de posture dans leur communication. Face aux doutes soulevés par l'opinion, leurs plans stratégiques et « raisons d'être » doivent être traduits en actes concrets, incarnés et partagés.
Près de 8 Français sur 10 estimaient dans un sondage récent (1) que la grande distribution a fait des efforts pour réduire le prix de l’essence. A contrario, dans la même enquête, les personnes interrogées considéraient majoritairement que l’État lui n’en avait pas fait. On peut comprendre que les pouvoirs publics qui ont dépensé plusieurs milliards sur la ristourne puis sur le chèque carburant trouvent la potion amère et le jugement de nos concitoyens quelque peu injuste. Mais c’est ainsi. Au moment où le prix du baril repartait à la hausse en cette rentrée, les Français attribuaient la première responsabilité du prix élevé des carburants au montant des taxes et à l’État. Et adressaient donc cette critique à l’exécutif : vous ne prenez pas suffisamment votre part, vous nous demandez d’assumer la plus grande part des efforts. Le constat est le même sur l’inflation au sens large : 60% des Français estiment que l’action du gouvernement n’améliore pas du tout la situation en matière de pouvoir d’achat. Sans entrer ici dans le débat économique (fin du « quoi qu’il en coûte », impact sur la dette), ces chiffres illustrent de manière assez nette une posture qui s’impose désormais dans les stratégies de communication des acteurs publics comme des entreprises, en temps normal comme en temps de crise : la stratégie de l’effort. Pourquoi ?
Parce qu’à la prise de distance à l’égard de la parole publique, à son emphase, à son ton péremptoire, fait face un besoin de preuves et d’humilité. Loin des formats bien « léchés » et magnifiés par la communication, l’opinion a besoin « d’objets », de tangibles, qui traduisent en actes les meilleurs plans stratégiques et les plus belles des « raisons d’être ». Parce qu’à la défiance généralisée face aux chiffres et aux statistiques, les objectifs macro à horizon 2030 entretiennent eux-mêmes le doute. Les attentes se font plus pragmatiques : Ne nous dites pas seulement ce que vous projetez de faire dans les décennies à venir. Dites-nous d’abord, même si c’est moins ambitieux, ce que vous pouvez faire maintenant. Quand on expose les prises de parole des dirigeants politiques comme économiques à l’opinion par le biais d’une Médiascopie, on est frappé d’une chose : l’énoncé seul d’un objectif 2035 ou 2040 fait décrocher les courbes d’adhésion, s’il n’est pas accompagné du descriptif des étapes et des efforts mis en œuvre pour y parvenir. Comme si on évoquait l’arrivée ensoleillée du Tour de France sur les Champs-Élysées en ne parlant pas de la dureté des étapes de montagne.
Ensuite, parce que face aux doutes soulevés par une communication trop affirmative, qui ferait semblant d’enjamber les difficultés comme si elles allaient être résolues d’un coup de baguette magique, s’exprime un besoin de comprendre et de partager : pourquoi cela va prendre du temps, quels sont les obstacles sur le chemin. Indiquez-nous les marqueurs simples, incontestables qui seront la marque de vos progrès. C’est bien sûr particulièrement indispensable face à la complexité de la transition écologique. Et enfin parce que face aux crises imprévisibles, multiples, l’opinion n’attend pas la promesse du risque zéro. Si elle exige d’abord des excuses et de la compassion, elle se méfie des « plus jamais ça » qui sonnent souvent creux quand ils ne sont pas accompagnés d’une stratégie volontariste permettant de faire la preuve que les leçons ont été tirées, les défaillances corrigées.
Dans le déploiement de cette stratégie de l’effort, la communication a un rôle clé : d’abord pour en faire le récit, qui permet d’inscrire l’action dans une cohérence et un cap. Pour donner à voir les preuves, les faire partager, les vulgariser quand elles reposent sur une technicité méconnue. Pour incarner enfin : la stratégie de l’effort a besoin de visages et d’une parole incarnant une tonalité différente, pour dire à la fois la mobilisation et l’humilité, l’ambition et le concret, le long terme et le court terme. Pour dire surtout que la posture de l’effort porte par son réalisme plus d’espoir et d’optimisme que les grands discours, les effets d’annonce et leur cortège de déceptions.
(1) Elabe pour BFMTV, 27 septembre 2023.