Menace sur la biodiversité, inquiétudes liées à l’intelligence artificielle... l’époque expose ses risques existentiels comme dans une tragédie classique. Mais la tétanie ne nous sauvera pas.
L’injonction de concilier fin de mois et fin du monde est le dilemme de notre époque, une épreuve qui nous concerne tous, du sommet des États jusque dans nos pratiques individuelles les plus quotidiennes. La semaine dernière, un autre impératif s’est partagé les titres de notre actualité : péril de la biodiversité confrontée au réchauffement climatique et défi de l’intelligence artificielle lancé aux domaines de la création qui semblaient réservés aux seuls humains. Et cette confrontation, après Barbie, femme-objet de ma précédente chronique, se déroule à nouveau dans les salles de cinéma.
À défaut d’être formidable, l’époque expose ses enjeux comme dans une bonne vieille tragédie classique, unité de temps, de lieu et d’action. Au cinéma aujourd’hui, on vit l’invasion simultanée des punaises de lit dans les salles et celle des puces de silicium dans les images, le son et même les scénarios des films. Que nous dit cette attaque simultanée du 7ème art sur notre futur ?
D’abord, la primauté du vivant. Barbie, Oppenheimer, super-héros, la Palme d’or à Cannes… rien ne peut convaincre les spectateurs de venir dans une salle infestée par ces insectes qui occupent 10 % des logements parisiens et nécessitent parfois un accompagnement psychologique pour leurs malheureux colocataires humains.
Heureusement la fin du monde n’est pas encore là, mais les moustiques tigres et autres fourmis de feu arrivent et s’acclimatent. La rencontre est urticante et la découverte copernicienne. Je me souviens enfant de la déclaration de Stéphanie de Monaco alors star de la variété : « les animaux sont des êtres humains comme les autres ». Hilarité générale. Plus de 30 ans plus tard, nous devons pourtant apprendre à partager et ne plus être l'unique centre du monde quand on parle de biodiversité. Avec de nobles espèces en danger – gorilles, tigres, loups – mais aussi avec les nuisibles – souris, rats, moustiques et punaises – dans nos appartements, nos trains et nos cinémas.
AI-pocalypse ou AI-volution ?
Ensuite, dans la coévolution de notre espèce avec les puces de silicium, des secteurs semblent plus intéressants que d’autres à suivre, ils annoncent ce qui concernera tous les autres bientôt. Ainsi à Hollywood, la grève des scénaristes la plus longue de l’histoire du cinéma a pris fin la semaine dernière. Ce qui s’est joué n’est rien de moins que le modèle de la collaboration entre les humains et les intelligences artificielles sur les points essentiels de cette coopération : éthique, juridique et économique. Dans cette industrie colossale dont l’influence dépasse largement ses plantureux flux financiers, les protagonistes ont saisi que la technologie pouvait déjà se substituer aux traducteurs, à court terme. Puis aux acteurs de doublage et aux figurants qui donneraient leur droit à l’image et seraient payés de façon forfaitaire et bien moins cher (sans avoir à se déplacer, certes) pour être « incrustés » en arrière-plan comme des effets spéciaux. De façon moins immédiate, les scénaristes seront bousculés par des technologies d’intelligence artificielle générative, eux que Netflix a déjà réduits au statut de “salariés”. Au sommet de la chaîne, les stars, actuelles ou passées pourront être sollicitées par la seule puissance de calcul pour apparaître sur nos écrans.
C’est au cinéma, toujours, qu’on trouve le courage de rester optimiste. Oppenheimer et Open…AI, au-delà du nom, il y a une similitude frappante dans le destin du héros de Christopher Nolan et la start-up de Sam Altman, l’entreprise de la décennie. C’est l’histoire d’un homme qui croit à une innovation, qui réussit ce qui semblait parfaitement impossible, avec le soutien de son équipe et de pouvoirs publics plus ou moins puissants, prend des risques inouïs, et change le cours de l’Histoire et la face de notre civilisation. Nucléaire et IA, les deux sujets font peur, présentent des risques existentiels mais la tétanie ne nous sauvera pas. AIpocalypse ou AIvolution ? C’est le sujet de notre dernière étude EY Fabernovel qui sort, mais pas en salle, vous ne risquerez pas les piqûres de punaise, ces jours-ci. Vous aurez deviné que c’est la coévolution, l’AIvolution que nous démontrons et annonçons résolument.
Parce que nous n’avons donc pas d’autre choix qu’apprendre, comme il faut imaginer Sisyphe heureux, à coexister avec les puces et les punaises. Comme on dit sur les plateaux de cinéma, action !