TRIBUNE

[Tribune] Difficile en apparence de concilier le métier de publicitaire avec le fait d'être un idéaliste. Et pourtant, c'est possible, à condition de se laisser enthousiasmer, d'objectiver le sensible et de refuser le paradoxe.

Comme beaucoup de publicitaires de ma génération, ce dilemme me tient à cœur. Après plusieurs années de questionnement, je pense pouvoir aujourd’hui présenter un début de réponse, fruit de nombreux échanges et débats avec mes pairs. J’espère que vous n’y lirez pas une sorte de présomption dogmatique, ces idées n’ayant d’autre cible que moi.

Se laisser enthousiasmer

Car comment mieux s’entretenir sur le monde qu’au contact des marques et de leurs consommateurs ? Les premières, au sommet de la pyramide économique depuis la fin du XXe siècle, sont devenues les vrais acteurs du progrès sociétal, responsables d’une part de la conservation de l’héritage et de savoir-faire communs, et d’autre part de la recherche scientifique, technologique et artistique. Les seconds, eux, sont multiples, inégaux, disparates, riches, moyens, pauvres, parfois violents et boycotteurs, d’autres fois militants et mobilisés.

Dans un monde rythmé par la consommation de masse et le pouvoir d’achat, le travail de la marque nous rapproche du quotidien intime des gens, des vrais, pas seulement ceux des livres, du théâtre et du métro, mais aussi ceux de la télévision, des rayons de l’hypermarché et des manifs, et donc de la réalité. Au croisement de ces deux matières, se trouve ce que la société d’aujourd’hui a probablement de plus passionnant à nous faire étudier, le marketing.

Objectiver le sensible

Car le publicitaire se doit d’être très éduqué ; il a souvent une personnalité forte et des opinions affirmées, il oublie parfois d’objectiver ses sensations et opinions. Pourtant, l’étude publicitaire s’apparente souvent aux sciences sociales, elle a donc urgemment besoin d’être menée avec détachement et recul. Le publicitaire, en bon avocat des marques, ne devrait pas choisir ses clients ou ses problématiques. Au mieux, il peut s’autoriser de les orienter selon ses convictions, mais ne doit jamais sacrifier ce qui compte vraiment : la vitalité, la rentabilité et la pérennité de la marque.

Par chance, l’époque rapproche les marques des enjeux responsables auxquels les nouveaux consommateurs tiennent tant. Aussi le publicitaire pourra de temps à autre être conforté dans ses convictions d’urbain lettré. Mais méfiance, l’opinion publique est volatile, et l’actualité ne cesse de nous démontrer que les priorités changent aisément. Ainsi l’objectivité apparait comme l’essentiel garde-fou de la pensée publicitaire, surtout sur les sujets à fort potentiel de subjectivité et d’identification.

Refuser le paradoxe

Combien de fois face aux chiffres, incapables (ou feignants) de comprendre certaines données contradictoires avons-nous conclu que nos cibles étaient paradoxales, interrompant ainsi la réflexion de manière radicale, mais surtout la limitant. Car le paradoxe n’est pas une destination, ni même un raccourci, c’est une porte de sortie. Ce « en même temps » relativiste de celles et ceux qui ne veulent plus questionner et refusent de croire qu’il existe une réponse réconciliée et compacte à tout problème. Qui plus est, cette éthique d’étude exprime un autre potentiel quand nous l’appliquons à la question de l’épanouissement personnel.

En effet, être publicitaire trentenaire idéaliste en 2022, c’est aussi accepter une vie faite de conflits. Celui des cicatrices laissées par l’échec des utopies politiques du XXe siècle, de la déception récurrente du social-capitalisme, de l’apparente impossibilité de décroissance, de la violence du virtuel et parfois de sa beauté renversante. Mais c’est surtout accepter qu’être publicitaire n’est pas une activité à temps partiel que l’on devrait compenser en faisant pousser soi-même ses tomates ou en quittant la ville pour s’installer à la campagne. Car même si la justification de notre absolue indispensabilité n’a pas encore été trouvée, soyons convaincus qu’elle existe bel et bien, et que ce sera notre plus belle conquête.

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