Tribune
Dans le contexte perturbé qui est le nôtre, les agences indépendantes doivent trouver une perspective claire et stable pour le futur, ce qui passe par quatre options possibles : la vente, l'achat, l'alliance ou la transmission familiale. Il en va de leur survie.

Il y a encore beaucoup de belles agences indépendantes en France, même si la domination historique des groupes Havas et Publicis reste très active. L’avenir de la plupart de ces agences indépendantes n’est pas encore très clair et il est souvent difficile de dessiner de vraies perspectives sur le moyen terme. Le coronavirus et son impact économique n’est pas le seul responsable de ce constat. Si l'on exclut le drame des agences évènementielles qui ont pris de plein fouet la crise, le coronavirus a mis le doigt sur la fragilité du business model de certaines agences indépendantes, et aussi parfois de certains groupes.

Les agences en bonne santé financière en 2019 n’ont pas vraiment de grosses inquiétudes. Il faudra serrer les dents, mais le prêt garanti de l'Etat (PGE) les aidera sans nul doute, elles passeront l’étape, certes atteintes, mais encore en vie. Celles qui souffraient déjà en termes de résultats financiers seront plus en souffrance car si les banques et la BPI ont donné de sérieux coups de main à la profession, ils seront très attentifs aux prévisions pour 2021. La question qui est posée est la suivante : est-ce que le PGE a été une solution pour passer l’étape et soutenir de la croissance ou est-il plutôt un pansement sur une entreprise en difficulté ? On voit déjà bien que l’attitude des banques évoluent vers plus de prudence, elles sont un peu moins volontaristes, on peut les comprendre.

Quoiqu’il en soit, le sujet dans ce contexte perturbé pour les agences indépendantes est de trouver une perspective claire et stable pour le futur. Autrement dit définir et construire un vrai projet d’entreprise pour le moyen et long terme.

Les dirigeants écartelés

Les fondateurs et/ou dirigeants des agences indépendantes sont en permanence écartelés entre se donner une perspective moyen/long terme en restant indépendant ou réaliser à court terme, c’est-à-dire vendre tout ou partie de leur capital pour récompenser leurs prises de risque et faire du cash out. Vendre est l’option la plus évidente sur le papier, enfin, elle l’était avant le coronavirus. Il faudra attendre un peu pour espérer obtenir des valorisations correctes. Buzzman a su saisir une belle opportunité et a cédé sa majorité à Havas, juste avant la crise sanitaire et économique, bien vu.

L’intérêt pour les indépendants qui vendent semble clair, mais parfois beaucoup moins pour ceux qui rachètent, car beaucoup de rachats se soldent par des échecs dans la durée. Si vendre est séduisant sur le plan financier, vendre pour un indépendant est aussi un arrache-cœur ; on vend son bébé, on vend des dizaines de nuits de stress, des week-end sacrifiés. On vend aussi des moments de bonheurs irracontables quand on gagne un budget, on vend l’esprit d’équipe. L’argent est réconfortant mais jamais excitant. A l’observation, une chose est sûre : un indépendant ne vend jamais son âme, c’est pourquoi un jour ou l’autre les fondateurs d’agences partent faire autre chose ou la même chose. Vendre est bien sûr une belle option, mais quitte à enfoncer des portes ouvertes, il faut passer plus de temps à parler du projet avec l’acheteur que de faire briller les tableaux Excel.

Si vendre est une option, il y a aussi l’option d’acheter. On renverse les rôles mais avec les mêmes données. Pourquoi acheter des agences quand on est indépendant ? Plusieurs raisons : la première est de garantir une forme de croissance ou limiter sa décroissance. C’est important et parfois essentiel pour ne pas subir la perte du gros client. Perdre un gros client est une tragédie et c’est déprimant. La perte d’un gros client signifie changer son organisation, parfois licencier des personnes qui ne sont pas responsables, affronter leur sentiment d’injustice légitime et s’expliquer des raisons du départ du client. Il faut gérer cela en direct, on est plus exposé émotionnellement que dans les groupes.

Faire preuve de lucidité

Acheter est une option pertinente, si elle est conduite par une vision stratégique claire et un business plan solide. C’est la condition pour avoir des chances d’emprunter de l’argent soit aux banques soit à des fonds d’investissement. Acheter fait évoluer le rôle des entrepreneurs publicitaires. Le métier change, on peut perdre le contact avec les clients pour faire plus de management. La trésorerie, le management, le pilotage opérationnel, les RH deviennent le quotidien des publicitaires. On doit apprendre la modestie, la résilience, l’écoute, le partage, la détermination positive, la vision moyen terme. Je ne crois pas que la majorité des publicitaires soient bien préparés à cela. Pour autant, il y a malgré tout de beaux groupes indépendants qui se sont construits par des rachats ces dernières années (Becoming, Babel) mais dans quel but à terme : vendre à leur tour et à qui ? Acheter, c’est-à-dire faire de la croissance externe, est un acte stratégique important. On s’endette, on mise sur sa future rentabilité avec finalement des équipes que l’on connaît peu.

L’alliance quelle que soit sa forme est probablement la plus belle des solutions, celle à laquelle je crois personnellement depuis des années. Cela peut être une alliance de talents pour un projet commun, une alliance commerciale forte, une alliance de métiers, une alliance financière et humaine. Il s’agit de faire preuve de lucidité. Que souhaitons nous ? Rester au commande seul et prendre le risque d’une lente mais inéducable décroissance ou comprendre que partager est la décision la plus performante pour son entreprise et les collaborateurs. L’alliance est utile pour être plus fort, plus visible, capter les talents, être plus crédible et rassurant pour les annonceurs. Je crois à cela car c’est motivant, excitant, on fait durer le plaisir de son entreprise et surtout on peut la sauver par anticipation. La différence avec le fait de vendre, c’est le fait de rester indépendant en étant plus fort. Alors pourquoi aussi peu d’alliances voient le jour dans la communication ? Si l'on exclut le sujet des valorisations réciproques, qui est un sujet factuel, l’ennemi des alliances est l’ego. A nouveau, le syndrome « je veux décider de tout, tout seul ». Quelle bêtise, quel drame. On a vu beaucoup d’agences disparaitre par manque de lucidité et de l’ego mal placé.

Transmettre est aussi une magnifique perspective. Le plus exemple est celui de l’agence Business et la famille Bousquet. On aime ou on n’aime pas cette agence, mais la transmission d’Éric Bousquet à ses deux enfants est juste remarquable et unique dans cette profession. Éric est un vrai chef d’entreprise, c’est assez rare dans le milieu de la communication. Il y a aussi dans cette veine la famille Leclabart (agence Australie). Trop peu de fondateurs d’agences imaginent cette solution, je ne sais pas pourquoi.

J’allais oublier : il y a aussi autre option, disparaitre, si on ne prend aucune des quatre premières options.

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