Certains trouvent l’amour à la plage, d’autres, en faisant leurs courses. Les observateurs du monde de la pub se souviennent du bruit qu’avait fait, en mars 2017, le film «L’amour, l’amour» d’Intermarché. Un format de trois minutes, orchestré par Romance, racontant l’histoire d’un jeune garçon tombant amoureux dans un supermarché. Un vrai pari, suivi depuis par d’autres volets et primé plusieurs fois. Dans la même lignée, d’autres films plus longs que la moyenne, sans aller jusqu’aux trois minutes, ont également fait parler d’eux. En mai 2017 puis mai 2019, Lacoste a par exemple proposé deux films d’environ 1 minute 30. Le premier mettait en scène un homme à la recherche d’une femme durant un voyage en train, qui était aussi une traversée dans le temps. «Il était dommage de ne pas garder la matière. Car on n’est pas dans une sémantique linéaire. Cela relève de l’imaginaire, de l’émotion», décrit Fabrice Brovelli, vice-président de BETC, aux manettes du projet. En mai dernier aussi, Ouigo et Rosapark ont ému avec un film de 1 minute 30 cherchant à séduire les vingtenaires. De là à parler d’une nouvelle norme ?
Le «film du dimanche soir»
Archétype du genre, «L’amour, l’amour» aurait dû être plus court au départ. «L’histoire rentrait dans une minute mais les choses se sont développées dans l’engouement de la préparation», rembobine Juliette Desmarescaux, la productrice qui a, avec Alexandre Hervé chez Romance et la réalisatrice Katia Lewkowicz, travaillé sur le projet avec la société de production Carnibird (qui n’existe plus aujourd’hui). «Si c’était à refaire ? Je le referais mais il faut un contexte de confiance entre la production, l’agence et le client assez rare», analyse celle qui codirige désormais Grand Bazar. Cet alignement a permis au film d’émerger. «Nous sommes dans un marché très mature où chacun cherche la martingale. Intermarché, je l’ai pris comme le résultat d’un bon sens : si vous voulez toucher les gens, il faut faire durer. Il y a aussi cette notion d’événementialiser. Le film Intermarché, c’est le film du dimanche soir sur TF1», analyse Jérôme Denis, dirigeant de la société de production La Pac.
«Une demande très claire»
De quoi donner envie aux marques de trouver, elles aussi, leur formule gagnante. D’autant que, en parallèle, le public s’habitue à voir des films longs sur le digital, ce qui pousse les annonceurs à s’y risquer et à oser de telles diffusions en télévision. Autre avantage : le «long», terrain de jeu créatif, apparaît aussi comme un excellent vecteur d’émotion, déclinable sous différents formats. «Après Intermarché, j’ai reçu beaucoup de scripts très longs, certains super, d’autres [moins] », se souvient Juliette Desmarescaux, alors qu'est sorti, il y a quelques jours, un film de 2 minutes produit par Grand Bazar pour Orange. « Depuis le premier film, nous avons reçu moult briefs pour des formats longs et événementiels», approuve Jérôme Denis.
«Il y a quelque temps, il y a eu une demande très claire de formats plus longs correspondant à un besoin d’entertainment», relève Martin Coulais, producteur exécutif chez Quad Productions. Une envie aussi de publicités moins «marketées», moins lassantes. Toutefois, «le format long n’a pas commencé avec Intermarché. Il répond à un besoin d’intéresser les gens à la manière dont les annonceurs communiquent», précise Jean Ozannat, cofondateur de la société de production Henry, notamment à l’origine, avec DDB Paris, de films de plus de deux minutes pour promouvoir le jeu Far Cry 5 d’Ubisoft.
«Épiphénomène»
En pratique, les intentions de «faire long» ne se concrétisent pas forcément. «Un événement, cela marche une fois et pas dix, sur une marque et pas dix et tous les sujets ne sont pas bons à raconter en trois minutes, énumère Jérôme Denis. Il y a aussi la question des talents ». La question financière est évidemment cruciale. «Plus un film est long, plus il demande de moyens», indique Fabrice Brovelli, qui n’a, de son côté, pas observé de changement de la demande. «C’est un épiphénomène, relativise Jérôme Denis. Dans les jurys, des films longs (trop longs…), il y en a beaucoup. Cela ne marche pas avec les mêmes budgets, les mêmes scripts…»
Reste que certains films parviennent à exploiter la dimension événementielle du format. Quad a ainsi récemment produit pour le Puy du Fou un film de 7 minutes, ramené à 3 minutes 30 en télévision. L’idée de ce projet, porté par Les Gros Mots et réalisé par Bruno Aveillan (connu notamment pour «L’Odyssée» de Cartier), était de soutenir la fréquentation du parc en montrant la réalité de ses attractions. «Avec un côté aventure humaine, tranche de vie, réaliste, explique François Brun, dirigeant de Quad. Le film est aussi une sorte de carte de visite pour vendre le savoir-faire du parc à l’étranger.»
Sélection cannoise
Le film a été diffusé le 21 avril sur les chaînes du groupe TF1, «veille du Lundi de Pâques, soirée à vocation familiale, à côté d'Avengers», détaille Loic Treguer, directeur conseil au sein de l’agence média Vizeum. Par la suite, «il a déclenché beaucoup de réflexions chez nos clients car le format est intéressant en termes de relais médias et permet de raconter une histoire. Il n’est pas nouveau mais suscite un regain d’intérêt», poursuit l'expert. Et d'ajouter : «Un 3h30 est onze fois plus cher qu’un 30 secondes. Un coût média astronomique qu’il faut pouvoir absorber».
D’autres formats très originaux voient le jour, à l’image d’un moyen métrage produit par Phantasm pour Yves Saint Laurent. «Quelques directions de création parviennent à porter ce format long mais ce n’est pas la norme, estime Gary Farkas, associé de la société. Notre collaboration avec Saint Laurent a débouché sur un film de 51 minutes, réalisé par Gaspar Noé, avec Charlotte Gainsbourg et Béatrice Dalle, projeté à Cannes cette année.» À l’autre bout du spectre, les films plus courts montent en puissance. Le clip permet de faire émerger des talents tout en exprimant sa créativité, tandis que les formats verticaux, adaptés aux réseaux sociaux, ont le vent en poupe. Un nouveau terrain de jeu pour les marques.