Métier
Après le choc de 2020, les commerciaux de proximité commencent à adopter les outils de vente à distance tout en envisageant un nouveau rapport au travail. Un mouvement qui va aussi faire évoluer les entreprises.

Maussade début d'année ! Les chiffres de janvier 2021 indiquent un retrait moyen de 18 % pour les offres d'emploi de cadres commerciaux et commerciaux-marketing, sur l'ensemble du territoire, par rapport à janvier 2020 (-15 % par rapport à janvier 2019). À comparer à -13%, selon l'Apec, pour une palette de divers métiers. « La fonction commerciale est plus impactée que la moyenne, reconnaît Pierre Lamblin, directeur des études de l’Apec. Mais il faut encore attendre de voir comment les recrutements se comporteront. » Seuls la santé et le social se placent au-dessus de la moyenne, avec un nombre d'offres supérieur sur un an. Pour le reste, précise Pierre Lamblin, « sur le premier trimestre 2021, les entreprises restent prudentes dans leurs intentions d’embauche, une sur dix au global prévoyant de recruter au moins un cadre. L'incertitude demeure quant à leur taux de transformation en recrutements. »

Difficulté à créer du lien

Le choc de la crise sanitaire a fait bouger les lignes, ajoute Christophe Chupin, directeur exécutif de Page Personnel. Il n'est plus aussi évident de prouver l'intérêt de la proximité et de la connaissance du terrain : « Les commerciaux habitués à être agiles ont dû repenser leur mode de travail dans la durée. Aujourd’hui le télétravail et les rendez-vous digitaux sont devenus la norme. » Mais l’adoption de la vente à distance a été plus ou moins facile selon les secteurs. Aisée dans le secteur des nouvelles technologies, elle a rencontré plus de difficulté dans des domaines traditionnellement attachés au terrain et à la rencontre physique comme la grande distribution.

Le quotidien des commerciaux a lui aussi connu une évolution, ajoute Benjamin Arbeit-Taffarelli, fondateur de Bangcast, un site de formation dédié aux commerciaux : « Beaucoup de commerciaux n'ont pas pu se rendre chez leurs clients ou leurs prospects, une pratique encore plus courante en région. Or la vente à distance est différente du présentiel. Les échanges sont moins faciles et il est plus difficile de créer du lien. À distance, le traditionnel rendez-vous d'une heure ou d'une heure trente n'est plus le plus approprié. Il vaut mieux le séquencer en trois rendez-vous de 30 mn pour mieux capter l'attention et multiplier les occasions rapprochées de créer du lien. Il faut aussi s'initier à l'envoi fragmenté de documents pour que le prospect reçoive les bons documents au bon moment plutôt que de l'inonder. »

Des difficultés qui n’empêchent pas certains acteurs de continuer sur leur lancée, comme la start-up AOS (Appel d’offres simplifiés) lancée en 2017 pour faciliter les échanges entre donneurs d’ordres et entreprises du bâtiment. Elle compte 80 collaborateurs, dont 22 commerciaux à 50 % en région, qui ont su entrer dans l’ère de la visio. « En 2019, 25 % des rendez-vous étaient en visio, explique Marc Giraudot, directeur commercial. Contraints par la pandémie, nous avons réussi à atteindre 100 % en 2020, et même gagné en efficacité. Avant la crise sanitaire, le rendez-vous physique était indispensable. À l'été 2020, le rendez-vous visio était quasiment attendu. Avant 2020, nous faisions trois rendez-vous physiques par jour. Aujourd'hui, nous sommes en moyenne à cinq rendez-vous digitaux par jour. »

Tout n’est pourtant pas aussi simple et l’adoption de ce nouveau mode d’échanges soulève des questions. Ainsi, fin 2020, plus de 53 % (1) des commerciaux déclaraient avoir éprouvé des difficultés à tisser des liens et instaurer de la confiance avec les prospects. Une situation corroborée par l’expérience sur le terrain. « Le distanciel demande plus d'efforts commerciaux, affirme Marc Giraudot. En physique, il est plus facile de créer la relation avec le client. En visio, l'échange va plus directement au but et la relation commerciale est moins dense. »

De fortes attentes autour du télétravail

L’évolution des pratiques n’en est sans doute qu’à ses débuts. « Cette période a aussi mis en valeur l'intérêt des outils d'automatisation de la prospection, indique Benjamin Arbeit-Taffarelli. Ces outils permettent d'automatiser l'envoi d'e-mails en fonction de différents scénarios qui incluent les réactions des destinataires. Les commerciaux ont accru leur usage, à la fois en se formant et en les déployant dans beaucoup d'entreprises. » Mais encore faut-il que la société soit assez grande et qu'elle ait fait sa mue digitale. Selon une récente étude Sortlist, les PME françaises estiment que le Covid n'a pas accéléré leur digitalisation et qu'elles ont été plus impactées par la pandémie que toutes les autres PME européennes. 

Les attentes des commerciaux évoluent aussi. « Une étude publiée fin 2020 montre qu'une majorité de cadres souhaitent télétravailler, relève Pierre Lamblin. Ils expriment de fortes attentes afin d'être accompagnés pour travailler plus efficacement. Les cadres commerciaux manifestent aussi cette demande. » Les entreprises ont déjà commencé à s’adapter, note de son côté Christophe Chupin : « Elles révisent leur mode d’intégration, de suivi des performances et de gratification. L’enjeu est de maintenir la motivation des équipes et de valoriser les réussites alors que les rencontres physiques sont restreintes. Impossible par exemple, d’organiser des séminaires, événements familiers pour les commerciaux. »

Plus de profils féminins

De quoi à la fois renforcer un tropisme ancien mais aussi le faire évoluer, comme en témoigne la stratégie de recrutement d’AOS. « Nous recherchons des profils qui ont l'esprit d'équipe, de l'ambition, qui sont innovants et font preuve de persévérance, explique Marc Giraudot. Nous recherchons essentiellement des soft skills, pas forcément des gens issus du BTP. Nous les formons ensuite à la partie commerciale, au langage du BTP, au rendez-vous en visio, etc. Après une première semaine d'intégration et de formation, ils travaillent durant un mois en binôme avec un manager régional. » AOS souhaite aussi recruter plus de profils féminins dans ses équipes commerciales. Dans un souci de parité mais aussi parce que les femmes semblent mieux disposées à nouer un lien commercial à distance.

« Il y a deux fois plus de commerciaux en Allemagne »

Jean Muller, président national du réseau DCF (Dirigeants commerciaux de France). 

« Il faut faire savoir que nos métiers recrutent et il faut valoriser cette fonction pour donner envie aux meilleurs de s'y investir. Pour ré-industrialiser le pays, il faudra des technico-commerciaux d'élite, car on ne produira que ce qui aura été préalablement vendu. Aujourd'hui, l'Allemagne aligne des centaines de milliards d'excédents commerciaux alors que la France cultive un déficit commercial chronique qui dépasse les 60 milliards d'euros. L'Allemagne compte quasiment deux fois plus de commerciaux que la France. Le problème de la valorisation de notre métier n'est pas totalement résolu. Pour preuve, dans les pays anglo-saxons, le mot "sales" se retrouve quasi systématiquement sur les cartes de visite des commerciaux alors qu'en France, on cherche encore à éviter d'y faire figurer le mot "ventes" sur celles des commerciaux. »

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