Près d'un an après le début de la pandémie, l'heure est à l'entretien annuel. Mais encore faut-il rassurer les collaborateurs avant de passer au peigne fin leurs objectifs. « Nous sommes conscients que ceux fixés il y a six mois ont pu être impactés, revus et réorganisés du fait des contraintes matérielles et stratégiques, souligne Lise Ferret, DRH de Cadremploi. C'est une période où il a fallu être très agiles. » La spécialiste souligne notamment que certains métiers ont pu être mobilisés sur d'autres sujets et demande aux collaborateurs d'avoir « un point d'attention dans la restitution et l'évaluation de l'atteinte des objectifs » : « Nous les incitons à bien clarifier ces impacts et à ne pas hésiter à apporter autant de précisions que nécessaire », ajoute-t-elle. Nos conseils avant de passer à l'action.
1. Approfondir la dimension humaine. Il est tout d'abord nécessaire de ne pas passer à côté d’une situation compliquée ou d’un mal-être professionnel et/ou personnel. Après deux confinements et un télétravail d’abord souvent intensif, l’enjeu doit être abordé, estime Mathilde Le Coz, directrice des talents et de l’innovation RH de Mazars : « Nous avons sensibilisé les managers à la situation particulière vécue par les collaborateurs. Nous avons insisté sur le recueil de leur avis sur leur vécu de cette année si particulière, du fait des conditions du travail à distance, souvent difficiles à vivre », dit-elle. Au début de chaque débrief, les managers doivent faire un point avec leurs collaborateurs pour savoir comment ils ont résisté aux contraintes de cette année et ce, même s’ils l’ont déjà mentionné en amont des revues de performance.
2. Bien présenter les documents au bon moment. L’entretien ayant souvent lieu en distanciel, une attention particulière devra être portée à la présentation des documents. Pour Betty Berthol, DRH de Hotwire Global, une agence de relations publiques où la moitié des entretiens se sont déroulés à distance, c’est un point certes technique mais déterminant : « Il faut bien maîtriser la présentation des documents qui amène un partage d’écran et réduit la surface d’affichage du visage de la personne qui passe l’entretien. Quand on aborde un point important ou sensible, il faut éviter de partager des documents en même temps car cela réduit la surface de l’écran où apparaît le visage du collaborateur. »
3. Cerner les contraintes du télétravail. Après une année qui a mis en relief les apports du télétravail, nombre d’organisations mesurent aujourd'hui ses contraintes. Cadremploi a ainsi changé sa trame d’entretiens annuels pour mieux les appréhender. « Aujourd'hui, les bénéfices du télétravail sont clairs, ce sont plutôt les limites de cette organisation qui doivent être remontées », estime Lise Ferret, DRH de Cadremploi. De même, l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée doit faire l’objet d’un focus particulier. Cadremploi a ainsi demandé à ses managers chargés des entretiens annuels « d'avoir une sensibilité et une vigilance encore plus forte » sur cet aspect. Par exemple, le salarié respecte-t-il bien des horaires de travail ou est-il entré dans une relation déstructurée à sa mission ? « S'il y a des éléments que le collaborateur veut partager avec son manager, qui ont pu impacter son organisation et son engagement, il faut impérativement l'aborder ensemble », ajoute Lise Ferret.
4. Effectuer un deuxième passage. La situation est si particulière qu’une analyse plus attentive des retours s’impose. C’est en tout cas le parti que prend Camille Bédard, DRH de Valtech, une ESN présente dans 18 pays : « Quand l'ensemble des entretiens annuels seront terminés, je serai particulièrement vigilante en les lisant pour identifier des éléments qui exigent une plus grande vigilance. Si je repère des commentaires avec de fortes difficultés liées au confinement, j'irai échanger par la suite avec le manager pour voir comment évolue la situation et ce qui pourrait se mettre en place pour aider le salarié... » La DRH avait déjà l'habitude de demander des précisions aux collaborateurs sur certains de leurs commentaires. Cette année, sa démarche sera « plus importante afin d'être sûre que nous avons fait tout ce que nous pouvions pour aider nos salariés ». L’entretien annuel est aussi à ses yeux « un espace d'expression (…) afin d'élaborer une solution pour chacun ». Elle souligne par ailleurs que différents moments d'échanges ont été organisés en amont des entretiens annuels qui ont permis aux collaborateurs de s'exprimer avant les entretiens proprement dits.
5. Revenir rapidement vers les collaborateurs. Compte tenu des incertitudes qui perdurent et de la persistance d’une situation qui va sans doute contraindre les entreprises à installer des modes de travail à distance, il faut déjà penser à la suite. Chez Cadremploi, c’est l’ensemble du processus d’évaluation qui va être modifié. « Nous envisageons de réaliser une nouvelle revue sur le prochain trimestre, indique Lise Ferret, DRH de Cadremploi. C'est inhabituel mais cela peut être rassurant pour les collaborateurs de se réaligner rapidement avec les priorités de l'entreprise et les missions qui leur sont confiées. Autrement, il se peut que les collaborateurs se sentent engagés sur les six prochains mois. Sans cette souplesse à mi-parcours, ils peuvent se sentir freinés dans leur engagement. Nous souhaitons qu'ils se sentent accompagnés sur une plus courte période. Si un arbitrage intermédiaire doit intervenir, le collaborateur ne doit pas se sentir bloqué par un engagement à plus long terme. »
Entretien
« La préparation est une étape clé »
Jean-Marc Morel, associé RSM et expert des problématiques RH
« Pour obtenir un bon entretien, la préparation est une étape clé. Elle permet d'établir les questions et les sujets à aborder. Le collaborateur doit savoir quels thèmes seront évoqués et avec quel objectif. L'entretien annuel ne doit pas dériver vers une discussion de comptoir. Il faut garder à l'esprit que l'entretien d'évaluation annuel n'a aucun caractère obligatoire (1), ce qui n'est pas le cas de l'entretien professionnel. Il faudra aussi prendre du temps pour analyser les relations avec les clients. Leur stress durant cette période a été reporté sur les collaborateurs. On l'a constaté dans les laboratoires d'analyses médicales. Après une période de chômage partiel, ils ont vécu une période de surcharge. Cela peut conduire à une augmentation des arrêts de travail. L'entretien est un moment clé pour détecter ces risques, il permet de faire un arrêt sur image. La situation est différente dans le BTP qui a du mal à faire revenir sur site certains ses collaborateurs qui ont passé le confinement dans leurs maisons. »
(1) Il est en effet facultatif car il ne figure pas dans le Code du travail mais il peut s'imposer à l'entreprise s'il est prévu dans sa convention collective.
