Livre
Éric Briones, cofondateur de la Paris School of Luxury, revient sur son dernier ouvrage « Luxe et Résilience », qui traite de la capacité des marques de luxe à rebondir et à s’adapter face aux crises.

Le terme de résilience est à la mode. Pourquoi l’avez-vous choisi comme titre de votre dernier livre ?

Nous sommes entrés dans l’âge des crises. L’impossible est devenu réel et dans tous les domaines, même en marketing. Quand la marque Bottega Veneta coupe d’un coup tous ses comptes Instagram, YouTube... On peut dire que tout devient possible. Dans ce contexte, l’adaptation devient fondamentale. On passe d’un extrême à l’autre, incessamment. La résilience devient une qualité indispensable, si l’on ne veut pas disparaître à très court terme.

Vous avez choisi ce terme dès le départ, comment est-il venu dans l'analyse ?

Ma famille a toujours été bercée par la résilience. Cela en fait mon livre sûrement le plus personnel. En 1961, mes parents ont été rapatriés d’Algérie, et sont repartis de zéro dans l’Hexagone. Depuis ce jour, la résilience est ancrée dans la famille. Ensuite, déjà en 2019, bien avant la crise sanitaire, je me suis reconcentré sur cette notion. Fin janvier 2020, l’enfer commençait en Chine. Les marques de luxe ont été les premières à saisir l’ampleur du problème. Pour le Salon du Luxe [dont Éric Briones est le créateur], je me demandais si la résilience ne devait pas en devenir un des grands thèmes. J’ai alors entendu les discours de communication financière qu’ont tenus LVMH, Kering et Hermès pendant la crise. Les trois ont utilisé le terme de «résilience» en le plaçant au cœur du propos. En avril, il y a eu l’histoire de la fameuse boutique Hermès de Guangzhou. Le premier jour du déconfinement chinois, elle a réalisé 2,7 millions de dollars de chiffre d’affaires en une journée. C’est là qu’on a compris la résilience du consommateur, qui prend une revanche sur la vie et continue de consommer. Lorsque j’interrogeais les gens sur le sujet, tout le monde voulait participer. Je me suis dit qu’il y avait un livre à écrire, et j’ai contacté Dunod. 

Certes, vous êtes spécialisé dans le luxe, mais pourquoi ne pas avoir étudié d’autres secteurs ?

Le luxe est un point de départ pour tous. Tous les secteurs se sont inspirés du luxe pour faire du premium. Par son esthétique, par son protocole, par les mots, par l’image, le luxe est une source. Les principes de la résilience sont ancrés dans le luxe. Les marques ou les maisons se réinventent en permanence, et elles inspirent tout le monde.

Pourquoi le luxe a-t-il ce lien si privilégié avec la résilience ?

Tout part de «l’objet luxe». Contempler l’objet luxe, c’est contempler des milliers d’années d’histoire de la résilience. L’objet luxe a symboliquement des liens très complexes, il est lié à la mort. Il répare. Dans les pyramides de l’Égypte ancienne, les trésors accompagnaient les pharaons dans la vie d’après. Plus ils en avaient, plus ils en auraient après. Il y a une dimension d’éternité dans le luxe. L'objet de luxe est un lien de transmission. C’est le sens de ce qui est pour moi la plus grande campagne de luxe, celle de la marque Patek Philippe, où l’objet devient un lien entre toutes les générations. Elle est là, cette éternité. L’objet de luxe est un passeur d’éternité. L’objet de luxe est un refuge, ce qui lui donne une dimension spirituelle. On s’y projette davantage.

Même en cas de crise ?

Oui, le luxe est un investissement. Quand les crises surviennent, l’investissement le plus sûr, ce sont les objets de luxe.  Chanel augmente ses prix ? Il y a une queue pas possible pour acheter du Chanel. Le luxe est souvent un meilleur investissement que la Bourse. C’est aussi un refuge plus personnel avec le « revenge buying ». La première fois, c’était en 2001, sur Madison Square Avenue, après les attentats du 11 septembre. Il y a un sentiment de vie dans l’achat. On se prouve qu’on est en vie. C’est un signifiant de pouvoir, un faiseur de roi : en achetant du luxe, je me sens plus fort.

Vous voulez dire que le luxe protège ?

C’est une sorte de talisman de résilience. Selon le baromètre Ipsos du luxe, en 2020, le lien des hauts revenus avec le luxe s’est renforcé. Face à la crise, les plus fortunés pensent que le luxe est de plus en plus essentiel dans leur vie. Le luxe nous rend résilient. 

Mais là, nous restons dans le symbolique. Est-ce que cela se traduit dans les faits ?

Déjà dans l’histoire ce sont les crises qui ont fait les marques de luxe. Au départ, Hermès est une marque liée au cheval. Et comme tout le monde optait pour des voitures, la famille s’est mise à faire des malles et des bagages. Cela n’a pas été sans débat, mais le résultat est là. En 1940, suite à une pénurie de colorant, la marque s'est mise à faire des sacs orange et c’est devenu le best seller de la marque. Toujours, on s’adapte.

Et plus actuellement  ?

Le luxe est obsédé: il veut toujours conquérir de nouveaux clients et il est obsédé par la question jeune. C’est ce qui, selon moi, explique sa résilience. Et il a raison. La génération Z est la seule qui voit son désir de luxe ne pas bouger avec la crise. Ce succès tient du fait que le secteur arrive à allier le temps long et l’air du temps, et il a fait un constat simple : pour comprendre le monde qui arrive, il faut comprendre la jeunesse. En tant que marque, pour séduire les mères, il faut plaire aux filles. Cette bascule stratégique a été faite il y a dix ans. Résultat, on promettait l’enfer aux marques de luxe début janvier. Au bout du compte, elles réalisent quasi toutes des croissances à deux chiffres. Elles sont restées ancrées dans le réel. Regardez la vitesse avec laquelle LVMH a fabriqué du gel ou des masques. La dernière exposition Louis Vuitton a eu lieu à Wuhan, point de départ de l’épidémie. Le luxe n’a pas peur de sa nature non-essentielle. Il sait se mettre en retrait et revenir dans le réel, pas juste dans les mots. Aucun secteur n’a autant parlé en 2020, mais pour dire des choses : « Voilà la crise, comment nous la voyons et ce qu’elle veut dire selon nous. » La seule question que j’ai, c’est sur le soutien au monde des arts. Je m’attendais à ce qu’elles supportent davantage ce secteur en France, notamment.

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