Coupez-leur la tête ! Pendant le confinement, une vague révolutionnaire a soufflé sur le monde de l’influence et des célébrités. Les internautes ont affiché leur ras-le-bol sur Twitter. Le hashtag Guillotine2020, initialement posté en 2017 lors des élections américaines, a refait son entrée dans le top trend en juin. En cause, ces stars qui se prennent pour de bons petits samaritains, à parler de leur confinement difficile à vivre du fond de leurs palais et à demander de l’aide financière pour le personnel soignant. En soi, la cause est noble. Mais quand la demande est filmée avec en fond des dossiers signés Bred, Lazard et autres banques, la pilule a du mal à passer. N’est-ce pas Thierry Lhermitte ? «Pendant le confinement, nous étions tous sur le même pied d’égalité : plus moyen de sortir. Impossible aussi pour les influenceurs de créer du contenu comme avant, ce qui a remis directement en question leur rôle... Ces influenceurs sandwichs prétendent avoir des relations authentiques avec les marques, mais pendant le Covid-19, leur discours a changé voire disparu. Ce contexte a amené les internautes à s’interroger sur leurs réelles raisons de les suivre», explique Laura Alcain, head of social et influence chez MNSTR.
«We’re all in this together» («Nous sommes tous dans le même combat») était le crédo des stars américaines. Coincées dans leurs villas extravagantes avec piscine XXL sur le côté, certaines ont ulcéré les foules en voulant prétendre à toute force que tout le monde était sur le même pied d’égalité. Quand Ellen DeGeneres prend la parole pour comparer son confinement à de la prison, on en vient à se questionner sur leur perception de la réalité. De plus, les stars sont souvent associées à des annonceurs entraînant des complications dans leurs relations. Un Robert De Niro qui demande un monde d’après plus vert, alors qu’il est lui même ambassadeur d’une marque de voiture diesel, n’est pas forcément légitime.
Finalement, le virus n’aura servi qu’à mettre encore plus en lumière les inégalités. Dans une tribune pour le Guardian, la journaliste Arwa Mahdawi nous livre une diatribe : «La culture des célébrités et le capitalisme sont inextricablement liés. Les deux élèvent l'individu au-dessus du bien collectif. Ils s'appuient sur le mensonge de la “méritocratie”: travaillez dur et vous pouvez réaliser tout ce que vous voulez. Mais il est devenu clair que nous apprécions peu nos travailleurs les plus méritants –les professionnels de la santé, le personnel des supermarchés, les chauffeurs de bus et les chauffeurs-livreurs– qui font tourner le monde pendant que les riches courent vers leurs résidences secondaires. “Nous sommes tous dans le même bateau”, nous disent sans cesse les riches et les célèbres. Désolé, mais il est évident que nous ne le sommes pas.» En témoigne les backlashs contre les autrices à succès Leïla Slimani et Marie Darrieussecq suite à la publication de leurs journaux de confinement. Depuis leurs maisons de campagne, souvent secondaires, leur vision du confinement paraissait tellement hors-sol que les internautes s’en sont donné à cœur joie, souhaitant les y voir dans un studio parisien surchauffé sous les combles.
D'Hollywood à TikTok
Alors certes, placer le riche sur l’échafaud est tentant mais n’est-ce pas choisir une cible facile ? «Ces deux dernières années, la quête d’authenticité a été amorcée par les marques envers les consommateurs. Mais le confinement s’est révélé être un accélérateur. Confrontés à des célébrités qu’on pensait inatteignables, les internautes ont finalement perçu ce qui se cachait vraiment derrière», complète Laura Alcain. Autre problème, la violence non masquée des mots choisie par les internautes pour dénoncer cette déconnexion. «Têtes coupées», «guillotine», «échafaud»… ce champ lexical très fort donnerait presque des airs de prise de la Bastille.
Plongées dans un contexte économique difficile sur fond de révolution sociale, les marques de luxe se voient dans l’obligation de réagir. Qui l’eût cru ? Elles subissent la crise autant en termes d’image que financièrement. «Désormais elles s’essaient à des messages plus authentiques. Et l’ambassadeur tel qu’on le connaissait avant le confinement n’existe plus. Il y a une remise en question quand Chanel prend la chanteuse Angèle comme égérie et lui donne la possibilité d’organiser un concert en jogging depuis sa chambre. Pareil pour Vogue : le magazine a laissé le champ libre à la photographe Brianna Capozzi pour diriger depuis son Mac le shooting photo de la mannequin Bella Hadid en sous-vêtements. Ces adaptations se sont vues et permettront à ces marques de survivre», analyse Laura Alcain.
Avec ce name and shame, les maisons de luxe n’ont d’autres choix que de se retourner si elles ne veulent pas perdre de nouveaux acheteurs potentiels dont la Gen Z. Balenciaga s’exerce à des shootings sous forme de mèmes, Gucci utilise des ambassadeurs créatifs jugés plus « subversifs », même la très chic Céline sélectionne un tiktokeur comme égérie… Finies les Julia Roberts et Charlize Theron, désormais jugées trop vintage et «hors-sol». Ne leur reste plus que leurs yeux pour pleurer dans leurs villas de luxe...
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