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Simples tongs en caoutchouc, les Havaianas sont devenues un emblème du Brésil. Par la grâce du marketing, en combinant attributs brésiliens, production de qualité, distribution mondiale contrôlée et publicités colorées.

Article initialement paru dans le magazine Stratégies Spécial Brésil en mai 2014

 

De Sao Paulo à Rio de Janeiro, c'est l'accessoire des Brésiliens. Sans compter les touristes qui en rapportent dans leurs valises. Partout dans le monde, c'est un des emblèmes et clichés d'un Brésil ensoleillé et coloré. Il ne s'agit ni d'un ballon de foot ni de la cachaça (eau de vie), mais des tongs. Les Havaianas, «made in Brazil». Par la grâce du marketing.

 

Au commencement étaient de simples tongs: une semelle et une bride en caoutchouc naturel, brevetées dès 1967. Réputées increvables, confortables et sans odeur, elles sont composées d'un alliage unique de caoutchouc synthétique, conçues dans une usine de Campina Grande, ville située au nord-est du pays. Des tongs inspirées des «zori», ces tongs asiatiques traditionnelles qu'un cadre d'Alpargatas a découvert en 1962 sur une plage d'Hawaï. Les nu-pieds adaptés au Brésil, Havaianas (les hawaiennes, en portugais), étaient nés.

 

Grâce à son prix bas et à sa longévité, la tong Havaianas devient dans les années 1970 la première chaussure de nombreux Brésiliens. Rançon du succès, les contrefaçons apparaissent sur le marché. La réplique? Elle passe par la communication: Havaianas dégaine sa première campagne, avec pour slogan «Havaianas as legítimas» («Havaianas, l'originale»).

Dans les années 1980, les ventes patinent. Havaianas vise alors la classe moyenne. Elle sort de nouvelles gammes, augmente les prix, et fait de ses tong un produit quotidien, avec pour nouveau slogan «Todo mundo usa» («Tout le monde en porte»). Une publicité met en scène l'actrice brésilienne Malu Mader, filmée «à l'improviste» chez elle, Havaianas aux pieds.

 

Un prix «occidentalisé»

 

Mais pourquoi les Havaianas ne deviendraient-elles pas un produit d'exportation? C'est l'idée de Paulo Lalli, nouveau patron d'Havaianas en 1997. Reste à façonner une identité, à donner des attributs à la marque. Mieux: en faire un accessoire de mode que l'imaginaire collectif associera à un Brésil magnifié. Les origines brésiliennes seront le premier atout. Elles sont signalées par un étiquetage «made in Brazil», pour rappeler leur authenticité. Puis le fabricant ose le patriotisme lors de la Coupe du monde de football de 1998, avec un modèle orné du drapeau brésilien sur la bride.

 

Le positionnement prix est «occidentalisé»: vendues initialement 5,5 reals (1,4 euro) au Brésil, elles sont vendues en Europe au minimum… 15 euros. «Au Brésil, c'est un produit de base, très accessible. A l'étranger, ce prix rend les tongs Havaianas chères en valeur relative, mais elles restent accessibles en valeur absolue à toutes les bourses», souligne Jean-Marc Lehu, professeur de marketing à Paris I Panthéon-Sorbonne. Au passage, ce prix offre des marges très confortables à la maison mère, Alpargatas.

 

Parallèlement, le groupe choisit des distributeurs dans plusieurs pays. En 2001, Emmanuel Busquet décroche sa commercialisation pour la France: il crée une société ad hoc, Tudo Bem. Des corners éphémères naissent dans les grands magasins, comme les Galeries Lafayette. Le groupe Alpargatas assure son expansion mondiale via les Etats-Unis et l'Australie, et resserre son maillage sur l'Europe. «Il a alors développé des bureaux européens, américains et australiens», précise Hervé Pinot, directeur général d'Havaianas France, un ancien de chez Nike. En juin 2008, Havaianas se dote d'un siège européen à Madrid, dirigé par Eno Paulo, lui aussi débauché chez Nike. Des filiales sont lancées en Espagne, Angleterre et France, suivent le Portugal et l'Italie. Ainsi, elle compte deux boutiques propres à Paris, et une troisième  ouvrira en mai aux Quatre Temps de La Défense. S'ajoutent quatorze magasins franchisés, et quelque 1 200 boutiques qui la distribuent.

 

«C'est une des clés de leur succès: la distribution est totalement sous contrôle. En quinze ans, ils ont pu ainsi conquérir presque tous les marchés porteurs», souligne Jean-Marc Lehu. Résultat, le chiffre d'affaires a bondi: 520 millions d'euros en 2010, 1,3 milliard en 2013, dont 30% à l'export. Le développement d'Havaianas comme marque internationale passe aussi par la publicité. Le groupe consacre 16% de son budget au marketing et à la communication. C'est l'agence brésilienne Almap BBDO qui s'en charge, au niveau mondial, depuis 2008.

 

Toutes les dimensions de la communication

 

L'univers visuel est tendance hippie, fleuri et multicolore, avec pour signature «Always summer». La publicité doit faire avec plusieurs contraintes: une période resserrée pour les plans médias (assurés par Havas Media en France), d'avril à août ; et une communication sur les différents usages des tongs dans des pays où le climat n'est guère clément. L'idée est de  mettre en scène les attributs de la marque: «La convivialité, la joie de vivre, l'été. Il fallait faire rêver. Et mettre en avant le Brésil», résume Hervé Pinot, d'Havaianas France.

 

La communication passe aussi par les réseaux sociaux. Comme la page Pinterest de la marque, où une rubrique «Celebrities spotted» montre opportunément les people chaussés de ses tongs. Parallèlement, pour s'imposer comme marque de mode, Havaianas recourt aux recettes de cet univers. Elle lance des collections en séries limitées avec des marques ou des créateurs, tels Jean Paul Gaultier, Céline, Paul Smith, Angela Missoni, Swarovski ou encore Valentino cette année. Avantages: dans certains cas, comme Valentino, les tongs cobrandées ne sont vendues que dans ses boutiques. Et accessoirement, cela permet de faire monter les prix: comptez de 170 à 590 euros pour des tongs griffées Valentino. Havaianas est aussi devenu fournisseur officiel des oscars où, de 2003 à 2009, chaque acteur nominé recevait un modèle exclusif. En se positionnant sur la mode, Havaianas cherche aussi à faire face à la concurrence, telles les tongs Ipanema, signées par le mannequin brésilien Gisele Bündchen, mais aussi les claquettes Scholl et autres Birkenstock.

 

La marque s'essaie aussi à d'autres produits. Avec des tentatives parfois risquées, comme le lancement de sacs à main en 2009, «gelé» depuis. Pour être présente dans d'autres saisons que l'été, elle a lancé des sneakers et des espadrilles en 2010, puis des bottes de pluie en 2011.

 

Et la Coupe du monde de football? Havaianas le met en avant discrètement, dans sa dernière publicité. Sa nouvelle signature, «Territoria Brasiliana», met en valeur la culture brésilienne. «Le foot est un élément essentiel pour la culture brésilienne, mais on n'a pas voulu forcer le trait», résume Hervé Pinot. De fait, une marque locale concurrente, Amazonas, a décroché un partenariat avec le Mondial. Pas grave. Son agence de presse en France, Zmirov, est prise d'assaut depuis quelques semaines par la presse féminine pour préparer des pages shopping spécial Brésil.

 

 

 

Dates et chiffres-clés:

 1962. Création d'Havaïanas.
2001. Tudo Bem décroche la distribution en France.
2008. Création d'un siège européen à Madrid, et trois filiales (France, Angleterre et Espagne).
2010. Tentatives de diversification dans les sacs à mains, espadrilles, bottes, etc.

1,3 milliard d'euros. Chiffre d'affaires consolidé pour le groupe Alpargatas en 2013.
70%. Part du chiffre d'affaires réalisé au Brésil.

230 millions. Nombre de paires de tongs vendues annuellement dans le monde.
382. Nombre de magasins en propre dans 60 pays, dont 281 au Brésil.

(source:Alpargatas)

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