Grâce au soutien de leurs lecteurs et de communautés qui croient en eux, de jeunes entrepreneurs se lancent dans l'aventure du magazine papier.

En plein marasme de la presse écrite française et alors que le Web aspire une part toujours plus importante des investissements publicitaires, Les Echos, Le Figaro et autres grands noms de la presse papier ne cessent d'annoncer des plans sociaux et des hausses de prix. Or pendant ce temps, certains pure players tentent l'aventure de l'imprimé. Ils se nomment Crumb, Paulette, Bibiche ou encore Gonzaï, et sont réalisés par une poignée de volontaires talentueux qui n'hésitent pas à donner de leur temps et de leur personne pour fabriquer sur mesure le média dont ils rêvent.

 

Leur point commun? Que ce soit pour une distribution nationale en kiosque, pour un passage du Web au papier ou encore pour le lancement d'un site et de son support imprimé, tous ont fait appel aux internautes pour financer leur projet.

 

Démocratisé en 2009 aux États-Unis avec le site Kickstarter, le crowdfunding, ou financement participatif, est aujourd'hui en plein essor avec 85 nouvelles plateformes lancées à l'international entre avril et décembre 2012. Le principe est simple: un porteur de projet fait appel à la communauté en déterminant la somme dont il a besoin pour le mener à bien. Si la collecte atteint 100% du montant demandé, le projet est financé et la plateforme touche environ 5% de commission. Si la somme n'est pas récoltée dans son intégralité, la transaction est annulée.

 

Il ne s'agit pas d'investissement financier puisque le contributeur reçoit non pas un retour financier mais une contrepartie offerte (sticker, pack abonnement, cadeaux...) variable et adaptée à toutes les bourses. Ces contreparties ne sont cependant pas essentielles puisqu'un quart des donateurs refusent la contrepartie qui leur est offerte», estime Vincent Ricordeau, co-fondateur de la plate-forme Kiss Kiss Bank Bank. «Mais elles peuvent inciter à donner plus» et doivent être méticuleusement réfléchies. «Ce qui est motivant, c'est de participer à la naissance du projet», ajoute Vincent Ricordeau.

 

C'est sur ce principe de lecteur-fondateur que Paulette, un magazine féminin "fait-maison", est passé du Web au papier et tente aujourd'hui de réunir les fonds nécessaires à un lancement en kiosque. Reposant sur les épaules de quelques bénévoles et d'une flopée de collaborateurs, l'aventure Paulette débute en 2010 avec le lancement du site Internet. Neuf mois plus tard, Paulette lance le système de «lecteurs-fondateurs» qui permet aux internautes de s'abonner pour 9 euros aux trois premiers numéros du bimestriel. Un système de pré-commande qui permet ainsi de financer en amont l'impression et la distribution.

 

L'offre séduit et en octobre 2011, 5 000 abonnés reçoivent leur magazine. Un an plus tard, et avec une moyenne de 15 000 exemplaires diffusés par numéro, Irène Olczak, fondatrice de Paulette, décide de passer aux choses sérieuses et organise une levée de fonds communautaire avec la plate-forme My Major Company qui signe ainsi son premier projet média suite à l'élargissement de son offre en 2012.

 

Paulette a alors 80 jours pour récolter les 25 000 euros nécessaires à un lancement en kiosque prévu en février. Avec un budget de 25 000 euros qui couvre tout juste les frais d'impression et de distribution, les Paulette (et les Georges, version mâle de celles-ci) savent qu'elles ne pourront être rémunérées, mais le projet qui leur tient à cœur existe bel et bien, et convainc le public. A 18 jours de la fin de la collecte le 24 janvier 2013, 70% du projet était déjà financé. La partie a toutes les chances d'être remportée, indique Mathieu Maire du Poset, directeur projets et communication du site de financement participatif Ulule: «Lorsqu'un projet atteint 30% de financement, il a 88% de chances d'aboutir, chances qui montent à 95% lorsque le projet est financé à 50%».

 

Dans le cas de Paulette, la communauté déjà constituée et fédérée autour du support existant a grandement facilité les dons mais l'appel au financement participatif peut aussi permettre à des inconnus de percer, comme c'est le cas pour Bibiche, un projet de magazine féminin bordelais gratuit. Inscrite sur Ulule depuis décembre, l'équipe de Bibiche espère réunir les 2 500 euros nécessaires au financement du site Web et de sa version papier distribués dans les points d'intérêts de Bordeaux et de sa communauté.

 

Partant de zéro, l'équipe a tout intérêt à mener une campagne dynamique pour se faire connaître. «L'enjeu pour Bibiche n'est pas plus la quête de financement que la création d'une communauté», confie Mathieu Maire du Poset. Un mois après leur inscription sur Ulule, 66% de la somme est déja financée. Outre l'apport financier, le contributeur devient aussi un important ambassadeur du projet, c'est pourquoi la viralité des réseaux sociaux joue un rôle important dans la réussite d'une collecte. De même que le temps qui lui est alloué. «On conseille de faire des campagnes courtes et dynamiques», ajoute Mathieu Maire du Poset, "qui oscillent entre 30 et 45 jours pour être les plus percutantes".

 

Les plateformes ont une véritable mission de conseil et accompagnent les porteurs de projet dans leurs démarches avec l'objectif d'atteindre les trois cercles de contributeurs sur lesquels repose le financement participatif. Le premier cercle regroupe les amis et la famille, le deuxième, qui double mécaniquement le volume du premier selon Vincent Ricordeau, est composé des amis d'amis et des connaissances. Quant au troisième, celui qui peut faire décoller un projet et qui investit généralement dans les derniers instants des sommes plus conséquentes que les deux premiers cercles, il regroupe les personnes étrangères au projet.

 

Mais ce troisième cercle peut parfois réserver bien des surprises. Comme dans le cas de Crumb, un magazine numérique débordant d'interviews de pointures de la musique lancé en mars 2010, pour qui l'aventure du financement participatif devait à l'origine permettre de créer un site de qualité pour ses 55 000 lecteurs réguliers. Mais l'appel au don a pris une autre tournure. Lancée sur la plateforme Kiss Kiss Bank Bank à l'automne, la collecte a permis de lever 189% des fonds initialement demandés, soit 15 000 euros sur les 8 000 souhaités. Un joli coup de pouce supplémentaire qui permettra à l'équipe du magazine d'éditer un livre collector distribué dans une sélection de boutiques et d'enseignes culturelles en mars.

 

Et dès septembre, Crumb devrait sortir en kiosque sous forme de mook dont l'impression sera financée par un important groupe de presse qui a eu vent du projet lors de la levée de fonds sur Kiss Kiss Bank Bank. «Voir du papier naître grâce au web, c'est un beau pied de nez non?» note, amusé, Vincent Ricordeau. Un pied de nez qui pourrait donner envie aux médias classiques de prendre le train en route, comme le remarque Mathieu Maire du Poset: «Pourquoi les entreprises de presse classiques ne s'y mettraient-elles pas? A l'avenir, elles vont se rendre compte que le crowdfunding peut être intéressant de manière complémentaire.»

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