L’intelligence artificielle est de plus en plus mise au service de la gestion des ressources humaines, notamment dans les processus de recrutement.
Le sujet fait l’objet d’un programme de recherche de cinq ans, commun au ministère du Travail et à l’Inria. Opéré par l’institut Matrice, dirigé par François-Xavier Petit, le laboratoire de recherche LaborIA s’attache ainsi à mieux cerner l’impact de l’intelligence artificielle sur le monde du travail. « Le but est de tester concrètement des IA en contexte de travail : transformation des carrières et du recrutement, outillage du dialogue social, automatisation de tâches et évolution des emplois, impact sur les faibles niveaux de qualification », a expliqué François-Xavier Petit lors de la présentation du programme en novembre.
Car, qu’elle soit utilisée pour recruter ou pour gérer les talents, l’IA a pour double propriété d’être de plus en plus opérante et de susciter des craintes. En octobre 2020, un sondage Odoxa-Oracle montrait ainsi toute l’ambivalence des Français vis-à-vis de cette intelligence algorithmique au travail. Les deux tiers y voyaient une menace pour les salariés et les entreprises, et seule une minorité l’acceptait comme outil d’évaluation des hauts potentiels (48%), des bons profils (46%), ou de la productivité des salariés (34%). Parallèlement, une majorité y percevait une aide quand il s’agit d’améliorer des tâches répétitives (70%), de détecter les salariés fragiles (56%), ou d'améliorer la gestion des carrières.
10 à 15 % de recrutements avec IA
Qu’en est-il du recrutement ? Une table ronde organisée par Parlons RH, le 7 avril, a permis de faire le point sur l’utilisation de l’IA à des fins d’embauche, alors que l’on compte une trentaine de candidatures par offre, contre 40 à 45 il y a quatre ou cinq ans. « Un tiers des candidats sont chassés directement, observe Florian Gonfreville, associé au cabinet Julhiet Sterwen et spécialiste de la transformation digitale de la fonction RH, et 10 à 15% des organisations utilisent de l’IA dans leur processus de recrutement ». L’avantage de l’algorithme réside, selon lui, dans sa capacité à faire entrer une candidature dans un « processus normé et scoré » là où le CV dépend des prismes du candidat et surtout du recruteur dont l’appréciation va varier d’un manager à l’autre. Après tout, LinkedIn puise déjà des informations pour proposer des candidatures potentielles en établissant une shortlist de profils. Avec l’IA, « La RH passe de trieur de CV, de filtreur de candidatures à garant de la méthodologie, note-t-il, à elle de piocher dans la boîte à outils. Elle devient responsable de la R&D et du recrutement ».
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Pour Dominique Duquesnoy, CEO de Performanse, l’algorithme s’impose pour traiter des grandes masses de CV. Mais alors que l’on ne connaît pas encore 60% des métiers de demain, selon Deloitte, il est plus difficile d’avoir une IA prédictive ou sachant « faire face à un avenir incertain ». Si on peut lui demander de répondre à des normes (études, expériences, tâches à accomplir), il est plus difficile de dire comment ces tâches doivent être réalisées : cela dépend des valeurs, des codes de l’entreprise, des données futures... « L’IA fait-elle mieux que l’intuition ? interroge-t-il. L’individu va s’adapter, coopérer, produire des idées nouvelles ». Cela, une IA ne peut le mesurer. Elle est donc pour lui utile d'« éclairer, stimuler le processus décisionnel » mais il importe de « bien remettre au centre du jeu qui doit prendre la décision : le manager dans ses objectifs immédiats ou les RH dans leur combinaison stratégique, en tout cas un être humain ».
Porteuse de biais
L’IA est porteuse de nos biais et des raisonnements de ceux qui les ont conçus. D’où la capacité à reproduire des clones dans la mesure où cela correspond à la sélection demandée. Amazon s’est ainsi rendu compte qu’il avait tendance à recruter des hommes, le genre des développeurs de son IA. Et des grandes banques ayant eu affaire à un outil qui analysait les entretiens ayant débouché sur une embauche, ont observé qu’elles sélectionnaient les profils ayant les attitudes et les mots des gens déjà en place. À l’inverse, la technologie est précieuse pour faire ressortir des CV contre-intuitifs et limiter les risques de discrimination dans les grandes masses. « C’est un outil qui aide à la prise de décision, permet d’éviter les biais de recrutement et favorise la diversité », apprécie Gaël de Cagny, DRH de Médiamétrie.
Pour Florian Gonvreville, l’IA peut « faire ressortir des gens qu’on n’aurait pas forcément vu » ou « faciliter les trajets de formation avec des systèmes à la Netflix ». Mais comme le souligne Dominique Duquesnoy, le traitement des données s’inscrit dans le passé : « Quel intérêt dans un environnement changeant ? Si c’est pour reproduire ce que font les autres, je me plante ».
Repérer les métiers de demain
Toutefois, la start-up Neobrain, qui vient de lever 30 millions d’euros et compte doubler ses effectifs cette année (100 personnes) s’appuie sur sa connaissance algorithmique de 54 millions d’offres dans 50 pays pour repérer les métiers de demain à travers des signaux faibles : un pilotage des pôles marketing par la performance sur des verticales réseaux (TikTok, Instagram…) plus que sur des compétences en social media, par exemple. Paul Courtaud, son fondateur, affirme ainsi pouvoir orienter les talents dans 86 grandes entreprises en renforçant leur compétitivité par la formation ou en les aidant à mettre des mots sur des compétences. « On voit la tendance sur ce qui va se passer dans deux ou trois ans : les compétences qui émergent et celles qui deviennent obsolètes », dit-il. L’avenir, en somme, au vu d’un proche passé mondial.
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L’IA va-t-elle être de plus en plus déterminante dans le recrutement ?
Oui, dans la mesure où elle est déjà à la base de nombreux outils dans le recrutement. Il y a de plus en plus d’algorithmes permettant d’identifier les meilleurs candidats sous différents angles. Les outils prennent en compte les compétences, le parcours, l’expérience du candidat afin de soumettre au recruteur le meilleur profil. Les méthodes de recrutement ont profondément changé : avant, le recruteur cherchait un candidat au sein d’une entreprise grâce à son titre qui sous-entendait des compétences. Aujourd’hui, on démarre la recherche par les compétences : même si le candidat ne correspond pas à 100% au descriptif du poste, son savoir-faire et ses soft skills pourront être davantage convaincants pour le recruteur.
Pour séduire les jeunes, faudra-t-il recourir à l’IA ?
Les recruteurs y font largement appel : cela permet d’aller plus vite, dans la première étape du processus. L’IA trie une base de CV selon les compétences, écoles, expérience professionnelle. Mais la technologie montre très vite ses limites : elle ne tient pas compte des capacités des candidats autres que celles indiquées sur le CV. La technologie doit être alors au service de l’humain mais ne pourra jamais le remplacer complètement.
Le métavers est-il un bon laboratoire des capacités des candidats ?
Tout le monde ne maîtrise pas encore sa complexité et ses codes. Recruter dans ce monde parallèle est encore plus difficile que dans le monde réel car comment bien connaître le candidat alors que l’on ne voit que son avatar ? Cela peut avoir un côté ludique qui peut attirer des jeunes et supprimer complétement toute barrière géographique mais cet environnement rajoute de la complexité au processus du recrutement.