L’annonce du candidat Macron de reporter l’âge de départ en retraite remet le sujet de l’emploi des seniors au cœur des discussions. Reste à savoir si les stratégies RH des entreprises suivront.
69% des Français y sont hostiles. Extraite d’un sondage Elabe de mars pour BFM TV et L’Express, cette statistique claque. Mais, qu’en est-il du côté de l’entreprise ? « L’annonce d’Emmanuel Macron de porter l’âge du départ en retraite à 65 ans pousse à cogiter, reconnait Nicolas Perdrix, directeur général de Sidièse, agence de communication dédiée aux enjeux de responsabilité sociale et environnementale. Le débat présidentiel nous questionne. » Questionner ? L’hostilité est loin d’être palpable. Pourtant, publicité et communication sont connues pour leur jeunisme. Une vraie résistance pourrait se mettre en place. « La tendance des agences est d’aller chercher le dynamisme là où elles pensent qu’il se trouve, reconnaît Nicolas Perdrix, à savoir chez un jeune qui a envie de renvoyer la balle… »
Pourquoi ne pas remettre les plus de 50 ans au cœur de la dynamique de l'entreprise ? « LGBT, handicap, gender… les seniors sont les parents pauvres des politiques d’inclusion », reconnaît Simon Usifo, président de 72andSunny Amsterdam. Le sujet est encore considéré comme périphérique, comme un “hobby”. » Et pourtant, toutes les 37 secondes, un Français bascule dans le monde des quinquas, quand l’Hexagone enregistre une naissance toutes les 48 secondes. En 2035, 50% de la population en Europe aura plus de 45 ans. Aux commandes de TeePy Job, site de recrutement des 50 ans et plus, Jean-Emmanuel Roux a tous les chiffres en tête pour le 24e salon des seniors, qui s’est tenu fin mars. Il y tient, pour la deuxième fois, un espace emploi. « Il y a quelques années, l’idée d’un tel stand aurait fait rire, décrypte le fondateur. L’an passé, des entreprises refusaient encore d’être associées. En ce printemps, il a fallu trier. L’histoire va aller dans le sens des seniors.»
Le 10 mars dernier, déjà 32 entreprises ont signé le premier acte d’engagement inter-entreprises concernant la place des plus de 50 ans en entreprise, à l’initiative du Groupe L’Oréal et du Club Landoy. « Ce signal fort des grands groupes marque les prémices d’un mouvement, commente Isabelle Bastide, présidente de PageGroup –l’un des signataires. Un changement de “mindset” est souhaitable. Le recrutement des plus de 50 ans n’est pas encore un réflexe, pas inscrit dans l’ADN des cabinets conseils, par exemple. Pourtant, le marché n’a pas vraiment le choix, vu l’évolution de la population. » Et la pénurie de talents.
L’enjeu de la gestion des compétences. 48 000 salariés, dont 2810 entre 53 ans et 65 ans, ont été sondés par ChooseMyCompany, spécialiste de la relation au travail, depuis l'annonce du report potentiel de l’âge de départ en retraite. « Les résultats bousculent les idées reçues, détaille Celica Thellier, la fondatrice. Ils ne se sentent pas du tout en bout de course. 64% s’affirment heureux et engagés – quatre points de plus en un an. 79% trouvent du sens à leur travail. Ils peuvent aider les autres à le trouver. Des vrais “sens makers”. » Ces mots peuvent faire mouche auprès des recruteurs, avec des jeunes générations réputées pour faire la fine bouche, sur un marché de l’emploi de plus en plus tendu. Et qui devrait continuer à l’être. Un exemple : 30% des collaborateurs du groupe Apicil, spécialiste de la protection sociale, seront à renouveler d’ici dix ans.
Un bémol ? « Seule la moitié des plus de 53 ans affirment bien comprendre comment ils peuvent évoluer dans l’entreprise,soit huit points de moins que l’ensemble des salariés interrogés, poursuit Celica Thellier. Avec le recul de la retraite, ce thème va devenir une vraie problématique. Comment les inclure dans la boucle du renouvellement des compétences de l’organisation ? Les entreprises vont devoir former plus, plus souvent, avec des formats plus courts et donc moins chers. » Recruter des seniors peut relever d’une vraie stratégie. C’est le cas chez Vivoka, start-up créée en 2015 spécialisée dans la reconnaissance vocale. Âge moyen dans l'entreprise : 26 ans. Ayant atteint la soixantaine, le directeur des affaires financières détonne. « Des arbitrages doivent être faits pour accélérer, analyse William Simonin, le fondateur. Soit accepter de prendre des murs, soit miser sur l’expérience pour grandir et avancer avec moins de heurts à la clé. »
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Au siège de Gifi, à Villeneuve-sur-Lot, un data scientist de 56 ans est dans la short-list d’un recrutement. Pour autant, le groupe de Philippe Ginestet n’en fait pas un axe de la politique RH. « Le report de l’âge de départ en retraite ne va pas nous inciter à recruter davantage de seniors, commente Thierry Boukhari, directeur délégué. La raison ? L’âge n’est pas un critère de sélection discriminant au sein de notre enseigne. Toutefois, intégrer un senior est tout bénéfice. Ils sont fidèles. En termes d’accompagnement, les efforts à fournir sont moindres. Et ils mouillent le maillot jusqu’à leur dernier jour de présence en entreprise. » « Instaurer un coup de pouce fiscal serait malin, à l’instar de ce qui a été fait pour les apprentis, tend à préciser Nicolas Perdrix, directeur général d’une agence pourtant en avance sur le sujet avec plus de 20% de seniors dans les effectifs.
Deux questions à…
« Ils sont plus intelligents émotionnellement »
Alexandre Jost, fondateur et délégué général de La Fabrique Spinoza, le mouvement du bonheur citoyen.
Une retraite à 65 ans en cas de réélection de Macron, bonne ou mauvaise nouvelle ?
En dehors des métiers pénibles, la nouvelle est plutôt bonne au vu de la rupture que représente la retraite, parfois. Au Japon, ce cap s’apparente fréquemment à un drame, avec un taux de suicide des hommes élevé. Une image négative va souvent de pair avec la retraite. Or la satisfaction mesurée témoigne d’une progression au fur et à mesure que la vie avance –à partir de 45 ans. La formule à développer devrait être progressive. D’après L’erreur de Faust, de Jean-Hervé Lorenzi, François-Xavier Albouy et Alain Villemeur, les retraités les plus heureux ont –au moins– 15 heures hebdomadaires d’engagement associatif. Vieillir n’est pas un échec. Il n’y a qu’à voir Laure Adler, parfaite incarnation de l’atout de la séniorité. Mais la brutalité de l’arrêt peut se révéler être un vrai couperet. Décider d’un départ progressif –en faire un droit– aiderait à le rendre acceptable.
Comment expliquer la crispation autour de ce sujet alors ?
Travailler est positif, sous certaines conditions. Ce dispositif de départ décalé l’est aussi. Mais, la réflexion sur ce sujet réclame du recul. Etre caricatural est plus facile. Par ailleurs, les entreprises ne savent pas gérer l’intégration des seniors dans leurs équipes. On commence tout juste à comprendre le bénéfice du management transgénérationnel. Les seniors sont plus intelligents émotionnellement. Or, 85 % des compétences du management de demain ciblent précisément cette intelligence-là. Ils ont aussi la capacité de transcendance, de générer du sens… au moment même où les jeunes ne vont plus dans des organisations de l’absurde.