Les agences de communication basées en région profitent du mouvement de fond de des cadres parisiens fuyant la capitale pour trouver une meilleure qualité de vie. Un phénomène accéléré par la crise du covid.
Tous en région ? Si, les États-Unis connaissent le phénomène The Big Quit de démissions massives, sa traduction française pourrait être : « Quittons tous Paris ! ». Les chiffres le confirment, Paris se vide (-11000 habitants, selon les derniers chiffres publiés par l’Insee pour 2019) et les métropoles régionales ont la cote.
Les agences de communication installées en régions bénéficient de ce mouvement migratoire. « Le phénomène de concentration à Paris du secteur de la communication est en train de s'inverser avec une réelle décentralisation », constate Nicolas Carigliano, DG de Publicis Media Connect, qui dispose de bureaux à Lyon et Rennes et compte 70 salariés. « Nous avons de plus en plus de demandes de mobilité interne et nous recrutons aussi plus facilement en région », complète-t-il. Une tendance que confirme Philippe Goure, directeur des régions chez de TBWA Corporate, basé dans la capitale des Gaules : « Nous n’avons jamais été autant sollicités que ces deux dernières années ; nous recevons désormais des candidatures de personnes travaillant pour de grandes agences parisiennes », se réjouit-il.
La quête d'une meilleure qualité de vie, exacerbée par les confinements, incite les cadres de la com à penser désormais qu'il existe un avenir professionnel en dehors de Paris. « Il n’est plus incompatible d’associer le plaisir de travailler dans l'entreprise de son choix et celui de vivre où l'on veut », constate Vincent Baculard, PdG Groupe Rouge vif. Les agences installées en région profitent tout particulièrement de ce mouvement.« Le marché parisien est très encombré ; il est très difficile d'y recruter des talents », poursuit Nicolas Carigliano.« Aller en région, c'est aussi un moyen de faciliter nos recrutements », révèle-t-il.
Au-delà de cet impact extrêment positif sur le recrutement, les agences en région ont vu leur organisation bousculée. Le rythme de télétravail de 2 jours par semaine avec, évidemment, des jours de regroupement communs semble s'être imposé. « Depuis six mois, nous avons décidé d’opérer un double mouvement de création d’agences en région (Lyon, Nancy et Bordeaux, puis fin février Lille, Montpellier, Rennes ou Nantes en projet, Ndlr) et d’offrir la plus grande souplesse de travail possible à nos collaborateurs », expose Vincent Baculard. « Cela permet d’être à la fois proche de nos clients et encore plus agiles », complète-t-il. Pour cela, « Nous avons cassé les silos qui pouvaient exister et formé des collaborateurs plus polyvalents », poursuit-il.
Même remise à plat chez Publicis Media Connect. « Nous avons intégralement revu notre organisation pour déployer un management moins vertical, plus matriciel.» Désormais, les experts métiers, toujours rattachés hiérachiquement à leur directeur d'agence, peuvent être sollicités par des pilotes de projets basés à Paris, Lyon ou Rennes. Le codir de l'agence est d'ailleurs, lui aussi, réparti sur les trois sites.
Les nouvelles aspirations des cadres à une meilleure qualité de vie font désormais partie de la donne pour les patrons d’agence. «Aujourd'hui, l'exigence première des collaborateurs est la quête de sens dans leur travail», note Nicolas Carigiano de Publicis Media Connect, « cela demande un engagement fort de l'entreprise.» Chez TBWA Corporate, Philippe Goure constate que « nous sommes entrés dans une phase où le contrat manager-collaborateurs repose désormais essentiellement sur la confiance. Plus on répond au besoin d’équilibre vie-travail des collaborateurs, plus ils sont engagés au service de l’agence et donc de nos clients. »
« Avec la généralisation du télétravail, les collaborateurs sont en demande pour revenir au bureau », poursuit-il. « Pour cela, il faut repenser la vie au travail, créer des points de convivialité plus réguliers, adapter les bureaux à cette nouvelle organisation. »
Mais, toutes les agences en région ne vivent pas forcément de la même façon la sortie de crise. Ainsi, le groupe Vertical (250 collaborateurs dans une quinzaine de villes) a été peu impacté dans son organisation – comme dans son activité et sa croissance (+30 % en organique et 8 acquisitions d’ici l’été). Fondé en 2018 par rapprochement d’agences en région disposant d’expertises métiers complémentaires, le groupe s’est construit sur un « modèle totalement décentralisé que ce soit sur la production ou les services mutualisés », explique Yann Rambaud, son fondateur et DG. « Nous avions déjà une façon de travailler hyper collaborative. Notre management est évidemment matriciel avec un manager local, généralement le cédant, et un pilotage transversal impliquant toutes les agences pour les projets », détaille-t-il. Du coup, peu de changements dans l’organisation, si ce n’est le passage à un jour de télétravail par semaine. Le groupe Vertical a jusqu’à présent peu profité de l’« exode » des talents parisiens. Mais Yann Rambaud reconnaît que dans son plan d’embauche d’une trentaine de collaborateurs courant 2022, une dizaine viennent de la région parisienne. Une façon de construire des villes à la campagne, pour reprendre la boutade d'Alphonse Allais ?
«La mobilité régionale offre une possibilité élargie de sourcing de candidats »
3 questions à…
Nicolas Guillaume, directeur exécutif chez Spring, cabinet de recrutement présent dans 30 villes en France
Stratégies : Quelles sont les évolutions récentes en termes de mobilité géographique des salariés ?
Nicolas Guillaume : Il y a un mouvement de mobilité de Paris vers la province qui s’est fortement accéléré à la suite du premier confinement. Cela touche désormais certains profils de cadres qui n’envisageaient pas une mobilité en région avant la crise. Il y a aussi une plus forte mobilité interrégionale. Ces changements élargissent considérablement pour les entreprises les possibilités de sourcing de candidats.
Stratégies : Quels sont les moteurs de la mobilité vers les régions ?
Nicolas Guillaume : Le mouvement s’est évidemment accéléré vers les bassins les plus attractifs : Bordeaux, Nantes, Lyon, Aix-Marseille et, dans un second rang, Lille et Strasbourg. Il est assez étonnant de constater que des bassins de plein emploi comme Mulhouse ou la Mayenne attirent peu les candidats à la mobilité. La sécurité de l’emploi et le salaire ne sont plus les seuls critères de décision des candidats. Ils recherchent un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Ils sont donc attirés par des métropoles qui ont fait un travail sur l’urbanisme, l’offre culturelle, la qualité de vie et qui ont su médiatiser ces atouts.
Stratégies : Comment les entreprises peuvent-elles accompagner les candidats à la mobilité régionale ?
Nicolas Guillaume : Ce qui motive un déménagement de Paris vers les régions, c’est évidemment la promesse d’une meilleure qualité de vie, moins d’embouteillages, une maison avec jardin… Mais les entreprises ne peuvent se contenter de cela, elles doivent offrir à leurs salariés un travail et des missions porteurs de sens. Elles doivent aussi proposer aux candidats à la mobilité régionale, et à leur famille, un accompagnement extra-professionnel, comme elles le font pour la mobilité internationale (logement, écoles, etc.). Un salarié se sent bien dans un nouveau travail si sa famille se sent bien dans son nouveau lieu de vie.