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Depuis la loi Agec et les mutations liées à la crise sanitaire, la demande pour les bâtiments économes en énergie s’envole et l’écoconception des espaces de travail semble s’imposer comme la norme.

Canal+ intégrant l’immeuble Sways il y a deux ans à Issy-les-Moulineaux, l’arrivée en 2022 des salariés de la marque Petit Bateau au siège du groupe Rocher, Le Figaro qui rejoint ses nouveaux locaux rue de Provence à Paris… Toutes ces entreprises ont profité d’un changement d’adresse pour associer l’écoconception des espaces de travail à l’entrée dans un bâtiment aux nouvelles normes environnementales.

La mutation du travail post-covid conduit de nombreuses entreprises à redimensionner et à optimiser leurs locaux. Celles engagées dans une démarche RSE en profitent aussi pour choisir des bâtiments avec des labels énergétiques plus élevés afin d’améliorer les critères de leur déclaration de performance extra-financière (ESG) ou leur empreinte carbone. Au-delà du bâtiment, depuis la crise sanitaire et surtout depuis la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (ou Agec, février 2020), le mouvement d’écoconception des espaces de travail s’est accéléré. La loi rend obligatoire un diagnostic produits-matériaux-déchets pour les rénovations et la mise en place d’une filière de responsabilité élargie du producteur (principe du pollueur-payeur) pour les déchets du bâtiment. Elle favorise aussi la réparation et l’emploi de pièces issues de l’économie circulaire en organisant des filières de réparation.

« La démarche RSE et l’écoconception étaient des évidences dès le départ », avance Olivier Léaurant, directeur des ressources humaines du groupe Figaro, qui pilote le déménagement des rédactions et de la régie rue de Provence, le bail actuel arrivant à échéance et la surface occupée étant devenue trop grande. « Il s’agit d’un élément important de la marque employeur pour attirer et retenir les talents, notamment la jeune génération dans nos activités numériques ou commerciales », explique-t-il. « Et à terme, cela va réduire notre bilan carbone », l’immeuble étant économe en énergies et en eau.

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« L’écoconception est désormais bien intégrée dans la réflexion et la démarche des entreprises. Il y a dix ans quand j’évoquais ces questions, je passais presque pour un beatnik, aujourd’hui, c’est tendance », s’amuse Jean-Julien Urbain, associé fondateur de la Scop toulousaine EMA, qui aménage les espaces de travail. « Aujourd’hui, 80 % des projets qui nous sont soumis ont une dimension RSE forte », confirme Nicolas Flachot, directeur du pôle Global Design du groupe Parella, conseil en stratégie immobilière. D’autant que la loi Agec, qui impose le principe du réemploi dans la commande publique, a élargi la prise en compte de l’écoconception par les collectivités, souligne Jean-Julien Urbain.

La nouvelle organisation du travail post-covid a impacté l’organisation spatiale des bureaux. « Depuis le covid, les espaces de travail individuels ont été réduits au bénéfice d’espaces de travail collaboratifs, tandis que les espaces de vie deviennent centraux, plus visibles, avec une fonction sociale revendiquée », détaille Nicolas Flachot.

Pour le réaménagement du siège social du groupe Rocher à Issy-les-Moulineaux, l’équipe de Parella a largement favorisé la réutilisation des matériaux déjà présents dans le bâtiment, comme la moquette garnie d’inserts colorés aux endroits les plus usés, ou du mobilier recyclé… tout en donnant un ancrage local avec des éléments de décoration originaires de Bretagne, terre d’origine d’Yves Rocher : la peinture est à base de coquilles d’huîtres, les bancs sont d’anciennes barques de pêcheurs et le bois provient de forêts normandes voisines.

De même, dans les nouveaux locaux du Figaro, la moquette a été réutilisée après traitement et on trouve peu de mobilier neuf. « Mais notre premier écogeste a été de réduire drastiquement ce que l’on emportait », souligne de son côté Olivier Léaurant. Chaque collaborateur disposait de deux cartons ; le reste a été confié à un Ésat [Établissement et service d'aide par le travail] spécialisé dans le recyclage, et les livres ont été offerts à Bibliothèques sans frontières. Le nombre d’imprimantes a aussi été réduit de façon drastique et les machines à dosettes de café jetables, bannies au profit de machines à grains.

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Cependant, tous n’ont pas attendu la loi ou le covid pour entreprendre une démarche d’écoconception. Depuis 2019, l’agence de branding Pixelis a fait du Centvingtsept, les anciens locaux de Radio Nova, le noyau d’un « un écosystème à visée régénérative », mission de l’entreprise. « L’agence a été conçue comme une canopée-agora », revendique Édouard Provenzani, fondateur et président de Pixelis ; elle est structurée autour de sa verrière, à la fois espace de détente, d’échanges et de réflexion. Les structures en bois sont conçues pour limiter les pertes de matériaux : les pièces découpées sont réutilisées pour la fabrication de mobilier, l’assemblage est à la japonaise afin de limiter l’utilisation de colle ou de visserie. Le mobilier est passé par les mains de La Collecterie pour lui redonner une seconde vie. Même le déménagement a été particulièrement économe puisqu’il a été réalisé à vélo-cargo par Carton Plein, structure d’insertion sociale. « Avant, les clients venaient rarement à l’agence, maintenant ils veulent y venir tout le temps », se réjouit Édouard Provenzani.

« L’erreur de certaines entreprises est de tout miser sur la transformation des locaux et le mobilier, alerte toutefois Jean-Julien Urbain. C’est important, mais le plus important, c’est l’organisation elle-même. Trop longtemps, on a confondu coprésence et collaboration, il faut stimuler la coopération entre salariés par l’espace. »

Trois questions à Karine Lathuliere, directrice marketing et communication de Colliers

Quelles sont les exigences des entreprises concernant l’immobilier ?

Les sujets environnementaux sont parmi les premières questions abordées par nos clients. Près de 40 % d’entre-eux déménagent car la performance ou la certification environnementale de leur bâtiment n’est plus suffisante. Dans un marché immobilier déjà très tendu, les immeubles « vertueux » sont très demandés. La possibilité d’ouvrir les espaces de travail vers l’extérieur devient aussi primordiale ; les entreprises cherchent en priorité des locaux où l’on peut ouvrir les fenêtres, avec un balcon, une cour ou une terrasse.

Quelles sont les exigences des salariés concernant les espaces de travail ?

Les collaborateurs jugent aussi leur employeur au travers des espaces de travail, du confort, de l’acoustique ou des matériaux utilisés… Cela témoigne de la relation qu’ils pourront construire avec l’entreprise sur le long terme. L’entreprise doit réenchanter le bureau. L’écoconception est un des leviers pour répondre aux attentes environnementales des salariés. L’espace de travail doit aussi devenir une vraie expérience servicielle au bénéfice de la marque employeur.

L’écoconception ne concerne souvent que le mobilier ou la moquette. Cela semble un peu limité…

Les occupants locataires ne peuvent intervenir sur le bâtiment, ils se concentrent donc sur ce qu’ils maîtrisent, le design et la décoration. Il est actuellement difficile d’aller plus loin, soit parce que les filières ne sont pas structurées, soit pour des raisons de sécurité et d’assurance.

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