Quand un changement est profond, il ne peut se faire sans accompagnement. C’est le cas de la transformation environnementale de notre société qui nécessite que nous parlions tous le même langage. La formation semble alors la solution, sous réserve qu’elle contribue véritablement à construire l’avenir. Par Caroline Darmon, directrice RSE chez Publicis France.
« Pour refaire le monde, nous devons d’abord transformer l’éducation. » Ces mots extraits de la Déclaration de la jeunesse au Sommet sur la transformation de l’éducation des Nations unies en 2022 semblent évidents et cela commence à se voir. De nouveaux métiers se développent avec les métiers verts, d’autres évoluent pour adopter des pratiques plus durables comme les métiers verdissants, et certains sont amenés à disparaître. La transition écologique est partout. En France en 2018, l’Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte estimait à 4 millions ces emplois directement liés à l’économie verte. Et en 2021, déjà un projet de recrutement sur six concernait un métier vert. Parallèlement, The Shift Project planifie sur 2050 une création de 1,1 million d’emplois mais aussi une perte de 800 000 dans les secteurs de l’agriculture et l’alimentation, les services de transports, les industries de la mobilité et l’habitat. L’emploi est donc en train de se transformer et impose un changement sur la façon de former, quel que soit l’âge, quel que soit le parcours, pour s’adapter à la nouvelle donne du climat.
En septembre 2018 paraît le Manifeste « Pour un réveil écologique » dont l’objectif est de faire en sorte que tout le monde puisse avoir un métier en cohérence avec ses convictions écologiques. Derrière, un groupe d’étudiants de grandes écoles et universités, impatients, qui a envie de s’engager et presse l’enseignement supérieur de se saisir dans leurs programmes des enjeux liés à la transition écologique et pas n’importe comment. « On peut questionner le fait de se former pour des emplois qui n’existeront plus demain, ou dans dix ans. Est-ce que ça a un sens d’apprendre aujourd’hui à extraire du pétrole ? », explique Lou Valide, membre du collectif Pour un réveil écologique. « Il s’agit d’intégrer les enjeux écologiques aux formations existantes, mais aussi et surtout de développer les compétences qui seront utiles demain », ajoute-t-elle. Plus de quatre ans après, c’est devenu un véritable sujet dans l’enseignement supérieur et la mobilisation étudiante ne faiblit pas. C’était le cas en avril de l’année dernière avec ces étudiants d’AgroParisTech qui appelaient à « bifurquer » et ne plus suivre les filières traditionnelles d’emplois.
De fortes disparités entre les établissements
Pour le primaire et le secondaire, c’est simple : « L’éducation à l’environnement et au développement durable débute dès l’école primaire. Elle a pour objectif de sensibiliser les enfants aux enjeux environnementaux et à la transition écologique », énonce l’Article L312-19 du Code de l’éducation. C’est quand les jeunes sortent du lycée que cela se complique. Non seulement le sujet n’est encore que peu traité mais aussi de fortes disparités existent d’un établissement à l’autre. Les établissements étant autonomes dans le développement d’enseignements sur la transition écologique, tout ceci dépend très (trop) souvent de leur gouvernance et des étudiants. Quelques chiffres pour illustrer les écarts et le chemin encore long à parcourir : seulement 35% des établissements de l’enseignement supérieur proposent des cours abordant les questions environnementales. Ces cours sont proposés dans 50% des écoles d’ingénieurs mais seulement dans 8% des universités. Seules 5% des formations en finance et seules 6% des formations en management intègrent les enjeux écologiques. À noter enfin que, dans 71% des cas, ces cours n’arrivent qu’en fin d’étude, au niveau Master, et non dès le début comme le voudrait la logique.
Le rapport Jouzel « Sensibiliser et former aux enjeux de la transition écologique et du développement durable dans l’enseignement supérieur » propose de nombreuses recommandations pour accélérer la marche. D’abord, s’appuyer sur ce qui existe déjà en termes d’expertise et de compétences et passer à l’échelle en maximisant les formations obligatoires à la transition écologique. Ensuite, prioriser et intervenir dès le niveau Bac +2 pour former 100% des étudiants quel que soit leur cursus, d’ici cinq ans. Enfin sur l’enseignement, mettre en place deux actions : sensibiliser en tronc commun aux enjeux écologiques, puis décliner dans chacune des disciplines en adaptant les formations et en passant l’ensemble des métiers existants au filtre de la transition écologique, ou en créant les formations des métiers qui émergent ou à imaginer.
Ces deux piliers valent pour l’enseignement supérieur tout comme pour les formations niveau 3 (CAP, brevet…) ainsi que pour la formation continue. Car non, la société ne peut pas attendre que tous les actifs en poste aujourd’hui soient remplacés par des jeunes formés pour intégrer la transition écologique. Seulement 15% des salariés en entreprise disent avoir été formés sur les grands enjeux de la RSE et ils ne sont plus que 5% à estimer avoir bénéficié d’une formation qui intègre la RSE à leur métier. Le devenir de leur métier au prisme de la transition écologique reste un grand mystère, encore plus quand il s’agit de métiers qui sont appelés à disparaître à l’instar d’hypothèses réalisées par The Shift Project. C’est dans ces types de situations qu’on peut réfléchir à des transferts de compétences, par exemple entre les métiers de l’aval de l’automobile dont le nombre va diminuer, au profit des métiers de l’aval du vélo qui eux sont en croissance. Sur ces recommandations, Sylvie Retailleau, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche s’est notamment engagée à ce qu’au plus tard en 2025, tous les étudiants de l’enseignement public et privé d’intérêt général soient formés à la transition écologique au début de leurs études avec la mise en place d’un socle de connaissances pour y arriver.
Pour Julien Vidal, auteur de Mon métier aura du sens, le modèle classique de la formation à un métier est en train d’évoluer. « Je vois de plus en plus de personnes recrutées non pas parce qu’elles ont fait telle ou telle formation, mais parce qu’elles ont un vrai intérêt pour le sujet. Plutôt que de se lancer dans une formation pointue, elles s’auto-forment ou passent par des expériences professionnelles pour être connectées à un projet qui va les responsabiliser rapidement. » Il s’agit de s’appuyer sur les compétences déjà là et les compléter par de l’apprentissage terrain et une envie telle qu’elle permet de casser les freins habituels en France : sans formation à un métier, impossibilité de l’exercer. « C’est une manière de reprendre le pouvoir sur son travail », conclut Julien Vidal.