En deux ans, le télétravail est passé du statut de pratique forcément douteuse – quand on est chez soi, on ne travaille pas – à celui de modèle vertueux. Il est même entré dans les usages, faisant, selon la PWC Global Crisis Survey de mars 2021, du travail hybride le nouveau normal pour 83 % des salariés, qui aspirent désormais à disposer d’une certaine souplesse quant au moment, au lieu et à la durée de leur travail. Le tout avec la bénédiction de leurs employeurs, qui ont constaté un gain de productivité de 74 % au troisième trimestre 2020 (source : Work Trend Index 2021, Microsoft), et entrevu de possibles économies liées à la réduction des frais de fonctionnement. « 20 % de présence en moins dans les bureaux, c’est 20 % de charges (loyer, électricité…) en moins pour l’entreprise, résume David Marmo, directeur d’Oasys Lyon, qui accompagne les personnes et les entreprises dans leurs transitions. Et le calcul reste avantageux quand on y inclut les charges inhérentes au télétravail, comme le déplacement, l’hébergement, etc. »
Effacement des frontières
Mais contrairement à ce que l’on pouvait imaginer, ces nouvelles aspirations n’ont pas révolutionné l’organisation du travail dans le secteur de la communication. D’abord parce que le travail à distance est, depuis de nombreuses années, une pratique courante dans l’univers des agences, notamment avec les freelances. Ensuite parce que « l’aspiration de certains à travailler dans un cadre plus sympa, de pratiquer autrement leur métier hors des grandes métropoles après y avoir fait leurs armes, n’est pas nouvelle, rappelle Stéphanie Dufour, directrice de The Links, basée à Nantes. 50 % de nos talents en création et en conseil sont d’anciens Parisiens. Mais les centres de décision chez les marques restent localisés à Paris. Tout comme une bonne partie de nos concurrents. » Une situation qui confirmerait l’effacement progressif, mais pas encore abouti, des frontières entre l’Île-de-France et les autres régions. « Le télétravail et les considérations géographiques ne sont plus des sujets dans nos métiers, estime Grégoire Peyroles, CEO de Dentsu Aegis Régions (cinq bureaux). Ils ne le sont que lorsque les managers y sont réticents ou opposés ! » Mais « pour les agences en région, dont 90 % comptent moins de 20 salariés, le télétravail et les absences qu’il induit ont plus d’impact sur le fonctionnement des équipes que pour une grande structure, tempère Julien Roset, président de l’UCC Grand Sud et directeur associé de Just Happiness. Nos clients nous demandent une grande disponibilité et beaucoup d’interactions. Le télétravail doit donc avoir une justification, car il ne doit pas devenir une complication. » Frédéric Bedin, président du directoire d’Hopscotch Groupe, complète : « Il ne faut pas créer de rigidité de part et d’autre, notamment pour éviter que les bureaux soient désertés les lundis et vendredis et pleins le reste de la semaine. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé à nos collaborateurs trois jours de présence par semaine, dont un à deux jours où tous les membres d’une même équipe doivent être là. » Même écho chez Dentsu Aegis Régions, qui a remis à plat son organisation du travail, privilégiant le cas par cas : « Chacun de nos 800 collaborateurs a dû dialoguer avec son N +1 pour décider du nombre de jours de télétravail par semaine. Certains sont passés au 100 % à distance avec la possibilité de travailler de chez eux ou dans une de nos antennes en région. »
Recréer de l’attractivité
Avec le home office, les bureaux voient leur statut évoluer du point d’attache obligé vers un lieu de passage occasionnel, voire optionnel, faisant naître une nouvelle problématique d’entreprise : donner aux collaborateurs de bonnes raisons de reprendre le chemin du bureau. « Il faut revoir la fonction des espaces pour recréer de l’attractivité, estime Frédéric Bedin. Le bureau doit devenir une destination dont les caractéristiques répondent à un besoin précis que le home office ne permet pas de combler : réfléchir ou créer en équipe, recevoir un client, onboarder des collaborateurs, etc. » Des propos que confirme le baromètre Aneo Holaspirit de l’Entreprise Nouvelle Génération, réalisé auprès de 1 000 salariés et présenté à l’occasion du NextGen Summit (du 24 ou 26 novembre à La Défense). Le retour au bureau y est jugé crucial afin de créer des moments de convivialité (déjeuners, célébrations…) pour 68,9 % des répondants, des activités collectives (ateliers, créativité) pour 62,9 % et des rituels collectifs présentiels pour 53,5 %. Le bureau du futur devra quant à lui permettre la collaboration et le travail en équipe (83,1 %), le développement de relations informelles avec les collègues (77,5 %), la concentration et l’isolement (45 %), ou encore offrir la possibilité de faire du sport et de se reposer (35,1 %). Tout un programme !
Trois questions à… Mohamed Mansouri directeur délégué de l’ARPP
« Faire revenir les gens au bureau est le nouveau challenge »
Le télétravail est-il devenu le nouveau normal ?
Le télétravail nous a installés dans une forme de confort. On peut se lever dix minutes avant un call, on optimise ses rendez-vous, on ne fait plus deux heures de transports pour une heure de réunion, etc. L’ancien modèle n’est plus naturel,
y revenir est un effort ! Le retour au présentiel provoque d’ailleurs une nouvelle fatigue plus précoce des salariés. Faire revenir ses collaborateurs au bureau est devenu le nouveau challenge.
Avec quelle(s) incidence(s) sur l’organisation du travail ?
Réunir toutes ses équipes au même endroit est devenu très compliqué. Ce n’est plus l’entreprise qui fédère, c’est le projet sur lequel on travaille en groupe. Il est important de bien cadrer le télétravail dans le temps. Les collaborateurs ne doivent pas oublier que dans cet espace, le travail reste la priorité et qu’aller chercher sa fille au basket n’est pas une excuse recevable pour refuser une réunion à 17 heures.
Le télétravail influence-t-il vraiment les choix de vie des collaborateurs ?
Dans les entreprises qui proposent de trois à cinq jours de télétravail par semaine, on observe une fuite des grandes agglomérations pour d’autres plus petites, où la connexion wifi est aussi performante mais les prix au mètre carré bien inférieurs. De Lyon vers Aix-les-Bains, par exemple. Toutes les villes à moins d’une demi-heure des grandes métropoles ont vu leurs prix exploser.