Les périodes de crise, par les bouleversements qu’elles provoquent, sont souvent génératrices d’interrogations sur le fonctionnement sociétal et nos propres aspirations. Celle que nous traversons actuellement ne fait pas exception et pose la question de la vie en société et de notre sens du collectif. D’abord sanitaire, puis économique, c’est désormais la crise sociale qui semble à notre porte, et les menaces qui devraient rassembler paraissent davantage nous diviser. Le monde d’après peine à se distinguer du monde d’avant…
Nous souhaitons promouvoir une économie durable, à visage humain. Pour autant, nos convictions font-elles de nous – ainsi que de milliers d'autres entreprises – l'avant-garde d'un nouveau modèle économique ou des rêveurs marginaux ? Posons-nous la question. Le système dans lequel nous évoluons favorise à l’extrême la course à la performance de court terme, en dépit des conséquences à long terme sur la planète, l’humain et l’intérêt collectif.
Mais selon une étude de l’institut Viavoice, réalisée en octobre 2020 sur les Français et le collectif pour La Suite & Co, il existe un décalage entre les souhaits des interrogés et leur ressenti sur ce sujet. 42% des cadres sollicités souhaiteraient que la société évolue vers une logique allant vers davantage de collectif, mais seuls 6% ont le sentiment que c’est effectivement le cas. À l’inverse, seuls 16% souhaiteraient que les initiatives individuelles soient plébiscitées, là où 44% déclarent que la société française évolue dans ce sens.
Réaligner les actions sur les valeurs
Pourquoi donc cette dissonance entre désir et réalité ? Selon cette même étude, les cadres français seraient soucieux de développer davantage de collectif parce que cela conduit à être plus juste (63%) et plus efficace (44%). Il n’existe donc pas d’inéquation majeure perçue entre performance et valeurs. Dit autrement, les valeurs collectives sont plébiscitées, mais leurs modalités d’expression en entreprises semblent difficiles à mettre en place. L’individualisme ne résulterait pas tant du sentiment qu’il conduit à davantage de résultats, mais d’une difficulté à manager d’une manière moins conformiste. De ce constat résulte un certain nombre de doléances légitimes : manque d’échanges avec la hiérarchie, manque de cohésion des équipes, manque de motivation, de compréhension des besoins des clients, manque de qualité au final des produits comme des services.
Et pourtant, près de la moitié (46%) des répondants se sentent engagés dans la société actuelle. On est donc loin du repli sur soi généralisé, et de la perte du sens collectif. Ce que montre expressément cette étude, c’est aussi que le désir d’une organisation qui incite chacun à collaborer et fait du collectif sa force n’obéit pas seulement à des motifs humanistes, mais à la recherche d’une nouvelle efficacité économique. Il est temps de réaligner nos actions avec nos valeurs et notre ambition collective.
Les Français débattent, aiment défendre des idées et les confronter. Un goût quasiment inné pour la conversation. Mais force est de constater que le débat est plus difficile de nos jours qu’il ne l’était il y a 50 ans, en raison de syndicats moins forts, de partis politiques plus nombreux mais moins fédérateurs, moins représentatifs, et de rassemblements intergénérationnels moins nombreux. Ces organisations ne permettent plus aux différents niveaux sociaux de se croiser autant qu’auparavant. À cela s’ajoute la tendance de la «cancel culture», qui consiste à décrédibiliser l’adversaire, non pas en démontant idéologiquement ses arguments, mais en l’empêchant d’être visible dans l’espace public. Cette pratique, qui nous vient tout droit des États-Unis, est particulièrement néfaste à la construction collective. Nous sommes face à un besoin urgent de réapprendre l’écoute, le respect et le vivre ensemble. Il nous faut recréer de la confrontation dans la société pour faire renaître le sens du collectif, si essentiel à l’intérêt général.
L’entreprise, nouveau théâtre du débat français
S’il y a un lieu qui entretient la mixité et repose sur la diversité, c’est bien l’entreprise. Les citoyens ne souhaitent plus cette polarisation qui voudrait que l’entreprise soit uniquement génératrice de profit et que le progrès social ne repose que sur l’action des institutions publiques ou les initiatives individuelles. Ils attendent un engagement fort de la part des entreprises. En tant que collaborateurs, managers et dirigeants, nous pouvons faire grandir les talents et les individualités au service du collectif. Il est même de notre devoir de les détecter, les cultiver et les recruter. L’entreprise doit être un espace qui veille à l'épanouissement de personnalités fortes et à l'ouverture d'esprit de chacun pour créer un environnement solidaire qui encourage les initiatives. Nous devons être en mesure, collectivement, de partager les responsabilités, de nous remettre en cause, de casser les silos hiérarchiques.
Contrairement à ce que nous pourrions penser, notre société n’a rien perdu de son sens du collectif. La conscience d’une responsabilité commune existe, mais peine à trouver des moyens pour agir. Il est temps de changer la donne et de nous remettre en cause, personnellement et collectivement. L’entreprise est une instance qui permet l’échange et la diversité. Engueulons-nous, confrontons-nous, débattons en entreprise. C’est en parvenant à fédérer autour d’un projet commun que nous serons capables de faire émerger un bénéfice pour tous. Il est de notre devoir de nous convaincre chaque jour de la force collective des valeurs humanistes, encore plus dans ce climat de cynisme ambiant.