Tout n’est pas perdu, loin s’en faut. Distribution, bien d’équipements, agro-alimentaire, énergies renouvelables, bio-tech, e-santé et formation continuent de recruter des spécialistes du marketing. Et l’évolution est a priori favorable, note Julien Breuilh, directeur des études de Cadremploi : « Le marketing classique n’est pas en forte tension mais c’est le cas du marketing digital et des fonctions de valorisation du contenu, depuis celle de content manager ou social media manager jusqu’au community manager. » Et la demande des entreprises reste soutenue. « Ce sont des métiers qui se répandent dans l’ensemble de l’organisation alors même que la digitalisation des entreprises augmente, d’où des besoins croissants, de sorte que les candidats ont l’embarras du choix », résume Julien Breuilh.
Forte demande en data science
Yamina Moukah, fondatrice du cabinet de recrutement Cherche Susan Désespérément, estime que « les postes les plus demandés actuellement sont ceux liés à la data science, au développement du business, à la R&D, à l’amélioration continue, à la relation et à l’expérience client. » Quelques postes se détachent dans les entreprises qui accélèrent leur transformation digitale : « Elles recherchent des heads of digital and data, des responsables de l’expérience client, des social media manager et des spécialistes du social listening. En résumé, ce sont des fonctions qui permettent à la fois d’établir, de maintenir et d’analyser la relation client. »
Pour la communication, la situation est plus compliquée, estime Julien Breuilh : « Du fait du nombre réduit d’annonces, il est difficile de dégager une tendance nette mais en période de crise, c’est un métier très scruté car il est considéré comme un centre de coûts. Pour l’instant, il ne figure pas parmi les métiers sur lesquels se manifeste une tension particulière. Si les entreprises vont sans doute engager des efforts sur les réseaux sociaux, elles vont réduire les investissements dans les grands plans de communication, à l’exception des grands annonceurs. »
Dans les agences, la situation n’est pas vraiment au beau fixe. Alors que plusieurs grands acteurs du secteur n'ont pas souhaité s'exprimer sur le sujet, ceux qui acceptent laissent percer une forme d’attentisme. « Sur 2020, à part des postes indispensables, nous avons gelé les recrutements tant qu’il n’y aura pas une meilleure visibilité sur les nouveaux budgets », indique Édouard Rencker, PDG de Makheia. S’il constate avec soulagement que la base client de son groupe s’est bien maintenue, il déplore la réduction de moitié du nombre de compétitions par rapport à l’avant-crise. « Nous devons donc être très attentifs à nos charges, souligne le PDG. Une année blanche se profile car les grands donneurs d’ordre ont adopté une attitude attentiste, faute de visibilité. Or nous sommes en bout de chaîne en termes d’investissements. »
Soutenir les agences
Chez Resoneo, agence de marketing digital, des recrutements de consultants SEO et SEA ont bien eu lieu durant le confinement, mais son PDG, Richard Strul, précise qu’il souhaite prendre du temps pour mesurer l’impact de cette période. Une prudence justifiée par les annonces pessimistes des instituts de conjoncture. « Il vaut mieux attendre la fin de l'année pour avoir une vision plus claire, résume Richard Strul. Mais il est probable que le recrutement reprendra fin 2020. En attendant, nous continuons à rencontrer des candidats. Trop recruter maintenant serait vraiment en avance de phase et ce serait de la mauvaise gestion. »
De son côté, l’Apec se prépare à une rentrée « difficile » et a mis sur pied en juillet un partenariat avec l’AACC afin de soutenir les agences. « Aujourd'hui, la population des agences, dont beaucoup n'ont pas de RH dédié, est constituée à 60 % de cadres et à 26 % de techniciens, explique Marie-Pierre Bordet, vice-présidente déléguée générale de l’AACC. Le but de ce partenariat est de les aider à recruter, à élaborer et poster des annonces, benchmarker les postes pour cerner les compétences demandées et les rémunérations proposées. Ce partenariat permettra aussi de les accompagner dans le développement de leur capital humain avec les conseillers en évolution professionnelle de l'Apec afin de bien réaliser les entretiens professionnels. » Le partenariat a également pour finalité d’aider les entreprises à gérer l'employabilité des cadres, faire évoluer les collaborateurs vers ce qui les intéresse et correspond aux besoins de l'entreprise.
Pour Véronique Dubois, directrice de la communication de l’Apec, ce partenariat a vocation à favoriser l’adoption d’une « approche de plus long terme », qui aidera les agences à « être prêtes lorsque le marché repartira ». Une collaboration plus étendue, entre l’Apec, l’AACC et l’Afdas, l’OPCO de la branche, a aussi été engagée. « Nous allons travailler collectivement à la gestion des compétences au niveau de la branche pour étudier l'interopérabilité des compétences entre secteurs – tourisme, spectacle vivant, publicité, arts vivants – afin d'établir des passerelles pour préserver l'emploi », explique Marie-Pierre Bordet. L’AACC compte aussi sur son projet Beyond « afin que les jeunes découvrent nos métiers dont ils ignorent souvent toute la profondeur », indique-t-elle. « Le projet a pour but de leur montrer tout le foisonnement de nos métiers et de susciter des vocations dans le champ digital, du social media managers au UX designer ou data scientists. Cela doit nous permettre de développer notre attractivité », ajoute-t-elle.
Double orientation
Côté profils, la double orientation née avec la digitalisation se maintient. Les besoins en hyper-spécialistes dans le domaine de la data, du SEO et du social media ne faiblit pas. « Le social media est devenu si vaste qu’il suscite lui-même l’émergence de spécialistes (content manager, social strategy), note Édouard Rencker. Ce sont des métiers qui donnent lieu à une hyper-segmentation. Ce sont des profils de plus en plus recherchés. » Le PDG de Makheia observe chez ses clients un développement très rapide des médias sociaux et du contenu en ligne au détriment de la communication classique, dont beaucoup de segments, comme les consumer magazine, ont été mis en sommeil.
L’agence Castor et Pollux est aussi prise dans cette évolution. Selon sa DRH, Lucille Pheulpin, « la puissance croissante des devices, l'évolution des langages et des framework, les attentes en expériences utilisateurs viennent bousculer nos métiers et permettent de développer de nouvelles compétences pour répondre à ces évolutions. Aujourd'hui, les profils que nous recherchons le plus sont les créatives coders, c'est-à-dire des DA qui savent coder ou des développeurs qui savent créer. »
L’autre polarité du recrutement concerne les profils généralistes. Dotés d’une grande agilité intellectuelle, créatifs, ils ont pour mission de piloter des projets combinants des éléments très hétérogènes. Un besoin encore trop peu satisfait par les jeunes diplômés même si la situation évolue, note Édouard Rencker : « Pour l’instant, c’est grâce à un parcours et l’expérience acquise que peuvent se créer de tels profils mais je note, au fil des conférences dans les écoles, que les jeunes sont de mieux en mieux formés à la culture généraliste. Ils ont une vue beaucoup plus transverse qu’avant des métiers de la com. » « Les jeunes répondent à nos attentes car les formations digitales sont de plus en plus généralistes, avec des spécialisations en fin de cursus », renchérit Noé Melon, directeur de création de Castor et Pollux.
L’ampleur des besoins du marché restent cependant tributaires de la reprise. Si Cadremploi observe une hausse progressive du recrutement dans tous les secteurs, y compris la communication, l’Apec se montre plus réservée, tablant sur 200 000 recrutements de cadres en 2020, au lieu de 300 000 prévus en début d’année. Rien n’est donc perdu mais beaucoup de candidats devront sans doute s’armer de patience pour décrocher un poste.