Une mauvaise nouvelle. Sophie Gourion, rédactrice Web de trente-neuf ans, venait d'émettre sa première facture en tant qu'auto-entrepreneur et s'apprêtait à y reporter son premier chiffre d'affaires mensuel (800 euros). L'augmentation des cotisations sociales des auto-entrepreneurs (entre 2 et 3 points de plus), prévue par le gouvernement dans son projet de budget 2013, a douché son enthousiasme. Pour cette ancienne salariée de L'Oréal et pour tous les auto-entrepreneurs exerçant dans l'univers des services, les charges pourraient passer de 23% à 26% (versement libératoire de l'impôt sur le revenu inclus). Même si les demandeurs d'emploi peuvent bénéficier de taux plus avantageux les premières années. Sophie Gourion avait fait le choix de monter son auto-entreprise pour «tester le marché et voir si elle pouvait en vivre décemment avant de se lancer dans le grand bain de la création».
A terme, cela va renchérir le coût de son travail: «Il me sera impossible de répercuter la hausse de 3 points sur mes clients, car les tarifs sont déjà âprement négociés. Je suis parfois en concurrence avec des sociétés qui proposent des articles rédigés en Malaisie à 10 euros, dit-elle. Je vais devoir travailler à perte.» Comme Sophie, un tiers des nouveaux auto-entrepreneurs sont chômeurs et les autres ne roulent pas vraiment sur l'or. «Les trois quarts d'entre eux gagnent le Smic et 80% le cumulent avec une autre activité», précise Francois Hurel, président de l'Union des auto-entrepreneurs, l'un des fondateurs de ce régime. D'ailleurs, l'auto-entreprise, c'est un peu la «Logan» de la création de société, un statut «low cost» avec des options très limitées: un chiffre d'affaires plafonné à 32 600 euros pour la prestation de services, pas de déductions des frais professionnels, aucun droit à la formation (jusqu'à il y a quelques mois) et une image peu glamour.
Derrière le gros million d'auto-entrepreneurs se cachent des situations diverses: salariés en agence qui font du free lance, attachés de presse ou consultants en communication qui créent leur entreprise pour tester leur marché, ou encore pigistes qui souhaitent – ou sont obligés – d'émettre des factures. Tous ces indépendants ont le sentiment de ne pas être des privilégiés. Et du coup la grogne monte. Pour peser dans le débat sur le budget au Parlement dans les semaines qui viennent et tenter de faire infléchir la position du gouvernement, la Fédération des auto-entrepreneurs a lancé une pétition en ligne qui compte déjà près de 30 000 signataires.
Mission de l'Igas
Certains entrepreneurs ont même choisi de faire cause commune avec les «Pigeons», mouvement lancé par des entrepreneurs protestant contre l'augmentation de la taxe sur les plus-values de cession des start-up (voir encadré). Même si la problématique des auto-entrepreneurs peu sembler aux antipodes de la leur: il ne s'agit pas de faire fortune, mais le plus souvent de s'assurer une activité minimale. C'est le cas d'Aurélie Feau, consultante en communication de vingt-huit ans: «J'ai lancé mon auto-entreprise en mars 2011, alors que j'étais au chômage. Comme les employeurs exigent que l'on ait de l'expérience pour nous recruter, j'ai décidé de me la constituer toute seule, note-t-elle. Pour moi, ce statut est un tremplin, j'ai créé mon propre emploi et réalisé 22 000 euros de chiffre d'affaires en 2011. Le fait de me rajouter des charges casse cette dynamique.»
Après vingt années dans des grands groupes, dernièrement à la communication de Pepsico France, Roxanne Lagorce voulait aussi tenter l'aventure free lance : «Je me suis orientée vers ce statut car c'était le plus simple, une bonne solution pour démarrer, précise la consultante en communication interne et événementielle. Cela m'a permis de tester mes aptitudes à être entrepreneuse.» Même si Roxanne Lagorce vient de passer en SARL parce que cela «fait plus sérieux» avec les clients et aussi parce que «si un gros contrat vous tombe dessus, vous atteignez vite le plafond de 32 000 euros».
Du côté du gouvernement, on tente d'éteindre le feu: Sylvia Pinel, la ministre de l'Artisanat du Commerce et du Tourisme, a affirmé le 2 octobre dans Les Echos qu'elle «ne voulait pas casser le régime des auto-entrepreneurs». Tout en confirmant qu'une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) était en cours et qu'elle prendrait d'autres décisions après la fin de l'année. Parmi les pistes évoquées: la limitation dans le temps du régime et des contrôles accrus. Deux changements qui pourraient encore détourner les entrepreneurs de ce régime.
Sophie Maréchal, pigiste en presse spécialisée a ainsi été découragée: «J'avais adopté le statut d'auto-entrepreneur en décembre 2009 pour développer une activité nouvelle, l'animation de tables rondes. Cela m'a généré un chiffre d'affaires de 230 euros, une fortune, ironise-t-elle. Sur cette somme, j'ai subi un contrôle Urssaf à rallonge, avec vérifications des comptes personnels, demandes de justificatifs, courriers recommandés…» Elle a jeté l'éponge. Des formalités simplifiées, qu'ils disaient…
(encadré)
La mobilisation éclair des «Pigeons»
Dès l'annonce du gouvernement d'augmenter la taxation des plus-values de cession des start-up (de 34,5% à 60,5%) la mobilisation a pris sur Facebook. Les entrepreneurs à l'origine du mouvement ont décidé de se baptiser les «Pigeons». Leur objectif est de faire annuler cette mesure qu'ils considèrent comme «confiscatoire». Patrick Robin, président-fondateur de l'agence 24h00 et auparavant créateur, entre autres, du fournisseur d'accès Imagi Net, est un sympathisant de cette cause: «On avait un magnifique écosystème de financement des start-up en France, qui a donné naissance à des entreprises de taille intermédiaire (ETI) comme Criteo, Cellfish, Viadeo, Wengo… Il y a un vrai risque qu'il se grippe.»