Stature haute, épaules larges, menton volontaire… Valérie Decamp, 42 ans, est d'abord une présence physique et un sourire sûr de son charme. Une étude de Bernard Cathelat, quand elle gérait Chérie FM, annonçait que l'époque serait au mélange des genres: «Des femmes de plus en plus masculines, des hommes de plus en plus féminins…» Alors que La Tribune remettra le 8 novembre ses premiers Women's Awards à des femmes d'exception, la seule «pédégère» d'un quotidien français veut faire entendre une autre voix dans ses colonnes: «70% des lecteurs de quotidiens sont des hommes. Comment s'en étonner quand on interviewe toujours des experts plutôt que des expertes? Les médias ont une responsabilité dans le fait que nous ne sommes pas représentées dans les instances de haute gouvernance.»
L'ancienne directrice générale de Metro n'hésite pas à pointer l'autocensure quand il s'agit d'accepter des postes à responsabilité: «Les hommes ne sont plus en cause, estime-t-elle. Les femmes sont le dernier frein par rapport à une société qui a bien évolué. Elles se disent qu'elles seront incapables de mener de front vie pro et perso. Que si elles s'éclatent dans leur boulot, elles n'auront pas l'énergie suffisante pour être une bonne maman, une bonne cuisinière et avoir des abdos en fer.» D'où la volonté du quotidien de «démythifier l'excellence au féminin» loin des statuts hors norme d'une Anne Lauvergeon (Areva): «Les femmes doivent se sentir moins coupables. Superwoman, ça reste du cinoche.»
Esprit de développeur
Qu'en est-il chez cette mère d'une fille de neuf ans? Valérie Decamp reconnaît qu'elle est «bien accompagnée» pour le partage des tâches. À lui les devoirs du soir, à elle les plats et les courses. Et chacun son appartement. Au travail, la patronne reconnaît néanmoins que la promotion des femmes reste un objectif permanent. Les salaires sont pour elles de 20% inférieurs à ceux des hommes. «Nous avons corrigé en deux ans pour qu'à job identique, il puisse y avoir un salaire similaire», précise-t-elle. Quant au comité de direction, il ne comprend plus que deux collaboratrices sur huit depuis que trois d'entre elles sont parties. «Ce n'est pas évident de trouver des femmes avec un profil Web», note la PDG, qui observe par ailleurs que le débauchage dans la presse magazine demeure délicat en raison du rythme et de la pression propre aux quotidiens. Un certain turn-over chez ses cadres confirme que Valérie Decamp n'a pas trop la culture du «reporting»… «C'est là que ça casse, confie-t-elle. J'attends un grand investissement. Nous sommes tous des développeurs.»
Réputée pour son management un rien viril, Valérie Decamp reconnaît elle-même qu'elle est parfois «très cash». Côté pile, une confiance qui se donne d'emblée, des valeurs d'engagement, de passion et d'humilité. Côté face, une sainte horreur de «la mauvaise foi, la fumisterie, l'incompétence, le côté polémique et politique». À la rédaction, une représentante des journalistes ajoute que son franc-parler lui joue parfois des tours, comme ce jour où elle annonça à l'AFP la disparition dans cinq ans de La Tribune sur papier. Mais nul ne peut reprocher à Valérie Decamp de ne pas l'avoir prévenu: «En entretien, je dis les choses. Après je tombe toujours sur le truc qui ne va pas.» Rien à cacher?
Dates clés
1987. Après HEC, Jet Services Courrier, puis Chantelle.
1995. NRJ Régies, attachée commerciale.
1996. Rire & Chansons Île-de-France, puis directrice commerciale du groupe NRJ.
2002. Metro France, directrice générale.
2008. La Tribune, directrice générale, puis PDG, en 2010.