Organisation
De nombreux groupes ont créé des shadow comex, ces comités exécutifs alternatifs composés de jeunes salariés. Une façon d’être en prise avec les nouvelles générations, pour mieux comprendre ses consommateurs et ses collaborateurs.

On les appelle comités exécutifs de l’ombre, comex miroirs ou plus souvent shadow comex, sur le modèle des shadow cabinets britanniques. Mais là où les cabinets fantômes sont dans l’opposition au gouvernement légitime, ces comités exécutifs bis travaillent main dans la main avec la direction officielle. AccorHotels a créé le sien à grand renfort de communication en 2016, sur la base d’un constat : l’hôtellerie est concurrencée par des plateformes de réservation comme Booking ou Airbnb, issues de la culture digitale, alors que les décisions du groupe sont prises par des personnes de plus de 50 ans qui ne sont pas nées dans cette culture.

Voulu par le PDG Sébastien Bazin, le shadow comex d’Accor réunit 12 salariés de 25 à 35 ans, associés aux décisions stratégiques, pour un mandat d’un an. « Les jeunes ont une capacité à prévoir le monde de demain plus fine que la nôtre, expliquait-il au lancement. En particulier sur les sujets au cœur des problèmes actuels du groupe : les attentes des nouveaux clients en termes de services, et de façon plus générale, l’expérience client. » Chez Orange France, depuis 2015, le projet s’appelle La Petite Fabrique, 30 jeunes de moins de 30 ans qui se rencontrent une fois par mois et planchent sur des améliorations de l’organisation interne ou des services. « L'âge moyen chez Orange c'est 46-47 ans, rappelait Stéphane Richard, le PDG d’Orange, dans une interview aux Échos. Nos salariés ne sont pas des millennials. Si on veut comprendre ce qu'il va se passer dans le futur, il faut clairement avoir des jeunes autour de nous. »

Gagner en agilité

Outre l’âge, la diversité des profils caractérise ces organisations alternatives. Carrefour Proximité France vient de mettre en place son Equipe Challenge de huit collaborateurs, quatre hommes et quatre femmes, représentatifs des six directions régionales et des différents métiers : comptabilité, formation, digital, franchises… « Dans une période où l’innovation est clé, l’Equipe Challenge doit nous permettre de gagner en agilité, en souplesse, adopter en quelque sorte le mode de fonctionnement d’une PME au sein d’un grand groupe, souligne Christophe Rabatel, directeur exécutif Carrefour Proximité France. D’un côté, le top management garde les pieds sur terre, reste en contact avec les collaborateurs, et dans l’autre sens, il bénéficie de relais de ses décisions sur le terrain. » Concrètement, deux membres de l’équipe (qui s’est baptisée spontanément Enov8) participent à tour de rôle une fois par mois aux débats du comité exécutif. « Leur liberté de parole est totale : on leur soumet des sujets, ils nous apportent d’autres éclairages. Les thèmes sont beaucoup liés au digital, mais aussi à l’innovation managériale, au développement de nouveaux concepts », précise Christophe Rabatel.

Regard neuf

Chez Orange, les membres de La Petite Fabrique sont choisis parmi des jeunes cadres présents depuis au moins deux ans dans l’entreprise, venus de toute la France, et de toutes les fonctions - commercial, réseau, informatique, marketing, RH… « Ils ne sont pas spécifiquement sélectionnés parmi les hauts potentiels, précise Cécile Fontbonne, directrice culture, innovation et diversité, en charge du projet. L’enjeu est que ces jeunes soient des leviers de changement culturel. Ils sont la première génération qui est née avec le digital, cela change leur perception des méthodes de travail, du rapport à la hiérarchie. À nous de capitaliser sur leur énergie, de répondre à leurs attentes et de faire passer le message à leurs managers. C’est du gagnant-gagnant : montrer que l’entreprise sait être moderne et utiliser leur regard neuf pour accélérer les prises de décisions. »

Les shadow comex répondent à une problématique de ressources humaines, confrontées à une génération Y que l’on dit exigeante et en demande « d’intrapreneuriat ». Havas Media Group a mis en place depuis deux ans un comex des moins de 30 ans suite à des études internes qui montraient une frustration des jeunes salariés. « Ils témoignaient d’une volonté de pouvoir avancer plus vite, d’exprimer leurs idées sans être freinés par le middle management, explique Stéphane Guerry, président d’Arena Media. Ils apportent leur regard sur nos métiers, c’est-à-dire principalement la consommation de médias, et nous aident à faire évoluer nos offres et nos agences. » À l’issue d’une session de dix mois au cours de laquelle ils ont participé à des briefings mensuels, ils présentent au comex leurs idées pour « disrupter » le groupe. « Curieusement, ces jeunes qui demandent à sortir du cadre se retrouvent un peu perdus lorsqu’on leur propose de réfléchir à partir d’une page blanche, remarque Stéphane Guerry. Mais c’est grâce à eux que l’on s’est retrouvés partenaires des start-up de la Station F. » Un exemple parmi d’autres des résultats concrets qui ressortent de ces expériences, et qui expliquent leur reconduction d’année en année.

Avis d’expert



«Des challengers groups à la révolution digitale»

Edouard Tessier, consultant en transformation d’entreprise au sein du cabinet Anakao :

« Le shadow comex d’AccorHotels a beaucoup fait parler de lui mais ce n’est pas le premier groupe à s’être lancé. En 2014 déjà, Arval, branche location longue durée de BNP Paribas, avait créé un Challengers Group pour répondre aux comportements des jeunes, qui souvent, n’ont pas le permis. Les dirigeants ont bien identifié les enjeux stratégiques mais ils ne sont pas armés pour les traiter, c’est pourquoi ils se tournent vers les jeunes pour avoir des propositions de rupture. Cela concerne tous les secteurs : Macif, Adecco, et même le bâtiment avec Eiffage. Ce métier très traditionnel est lui aussi affecté par la révolution digitale avec les maquettes numériques, l’impression 3D. Le comex a fait appel à de jeunes patrons de centres de profit pour l’éclairer. Cela l’a aidé à se lancer dans le soutien aux start-up ou l’utilisation d’outils de visualisation 3D. »

 

Encadré

 

Des idées simples, mais il fallait y penser

Parmi les propositions qui émergent des shadow comex, on retrouve souvent des partenariats avec des start-up. Une des participantes d’Havas Media Group est en train de développer au sein de Station F l’application Fanzhome pour partager son abonnement à Canal+ ou BeIN Sport. Chez Orange, les solutions tournent autour de la mise en relation : mobilité interne, réservation de salles de réunion, contacts directs entre les équipes marketing et les vendeurs en boutique. Des idées souvent simples, mais qui ne seraient pas advenues autrement, mises en pratique grâce au digital. « Sur 20 projets soumis depuis deux ans, la moitié continuent ou sont en train de voir le jour », se félicite Cécile Fontbonne.

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