Les Cafés Joyeux, qui emploient des personnes en situation de handicap, sont au cœur d’une nouvelle série documentaire diffusée sur Canal+ et produite notamment par Éric Toledano et Olivier Nakache. Retour sur un tournage au long cours.
À quelques pas du siège de Publicis sur les Champs-Élysées, de l’autre côté de l’avenue, jouxtant une boutique Swarovski, se trouve un Café Joyeux. Reconnaissable à ses couleurs bleu et jaune, l’établissement, comme il en existe huit autres en France et en Europe (à Lisbonne et à Bruxelles), présente la particularité d’employer, à tous les postes, des personnes porteuses de handicaps mentaux ou cognitifs. La success story de cette entreprise pas comme les autres est au cœur d’une série documentaire dont Canal+ diffuse ce 22 septembre le premier des quatre épisodes de 40 minutes, intitulée L’Épopée Joyeuse. Autre particularité du programme, il est produit par Olivier Nakache et Éric Toledano, le duo derrière la série à succès En Thérapie, et par Nicolas Duval-Adassovsky (Quad+Ten). Le tandem de réalisateurs est également à l'origine de Hors Normes, sorti en 2019. Inspiré d’une histoire vraie, ce long-métrage avec Vincent Cassel et Reda Kateb racontait l’histoire de deux éducateurs en association accueillant des personnes autistes. Une certaine parenté dans les thèmes…
La genèse de la série remonte d’ailleurs à une avant-première de ce film, à l’Assemblée nationale, qui avait marqué Yann Bucaille-Lanrezac, cofondateur de Café Joyeux avec sa femme Lydwine Bucaille. « J’étais là avec l’un de mes collègues, nous nous sommes dit : “c’est un peu ce qu’on vit”. J’ai pris mon courage à deux mains et je me suis faufilé pour aller voir les réalisateurs ; nous avons échangé nos cartes... », confie-t-il. Un certain temps plus tard, un rendez-vous a lieu, au Café Joyeux d’Opéra. « Nous n’avions alors pas encore d’idées sur ce que nous pouvions faire ensemble. Nous marchons aux rencontres. Nous avons adoré l’ambiance », raconte de son côté Olivier Nakache.
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Il est décidé pour démarrer que Paul Frère, proche collaborateur des deux réalisateurs et partie prenante du making of de Hors Normes, suive le fondateur de Café Joyeux et ses équipes. Le voilà donc en immersion, seul avec lui-même et une caméra, dans l’un des établissements. Pour l’heure, pas de forme ni d’angle établis pour l’œuvre finale. Son rôle : suivre les équipiers dans leur quotidien, l’accueil des clients, la cuisine, le service. Pour cela, il a fallu… se faire oublier. Et faire en sorte que ce soit indolore pour les participants. « Nous avons présenté Paul comme un membre de notre équipe, venant faire des images d’archives. Il venait quand il voulait. Il fallait faire en sorte que tout le monde reste naturel », resitue Yann Bucaille-Lanrezac, dont l’entreprise compte plus de 170 personnes dont 90 équipiers, près de 40 encadrants et managers et enfin plus de 40 collaborateurs au siège. « Il y avait déjà eu des reportages, des documentaires, plus ou moins longs, comme ceux de Peggy Leroy sur France 2 [en 2018 puis 2020]. Là, c’était un peu différent car c’était comme si c’était quelqu’un de l’équipe avec qui on partageait tout. On ne préparait pas son arrivée, il a eu accès à des moments un peu privilégiés », poursuit le dirigeant. « Pas de contrainte particulière sinon humaine, il fallait garder la bonne distance, complète le coréalisateur d’Intouchables. Nous suivions aussi les équipiers chez eux, dans leurs familles. »
À travers ce fil rouge du quotidien, le tournage, qui s’est étalé sur plus de deux ans jusqu'au printemps dernier, a connu quelques moments forts. « Il y a eu une journée où les équipiers ont été invités à servir à l’Élysée. C’était incroyable de les voir tous travailler, encadrés par la brigade du Palais », se souvient Olivier Nakache, présent lors de l’événement. Sans oublier des moments au-delà des frontières, puisque la caméra de Paul Frère a aussi suivi les aventures de Café Joyeux à l’international, à Lisbonne où un café a ouvert ses portes fin 2021, et à New York, autre ville où une ouverture est en projet.
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Yann Bucaille-Lanrezac lui-même apparaît largement au cœur du film, à la fois comme personnage, narrateur et guide dans la chronologie des événements. Pas un exercice facile. « Cela ne m’a pas gêné, le plus gênant est de se voir après. Nous avons eu une grosse discussion avec ma femme : est-ce que l’on accepte de le faire ? pourquoi on le fait ? Nous avons accepté parce que cela rend service à la mission, contribuer au changement de regard sur le handicap », relate-t-il.
L’idée de réaliser un documentaire – et non une fiction – sera formalisée au fil du tournage. « Hors Normes, on en avait fait un documentaire, une carte blanche pour Canal+. Avec Éric, nous sommes de gros consommateurs de documentaires. Là, on avait envie de réalisme, d’aller au cœur de ce que fait Yann, pour cela rien de mieux qu’un cadreur avec une caméra », explique Olivier Nakache. De fait, les moyens engagés sont « ultras légers ». En plus du cadreur, parfois aussi un ingénieur son, de la lumière, pour les moments d’interview « plus posés ». Ou deux cadreurs dans les moments avec plus de public. Jamais beaucoup plus.
Même chose pour l’histoire que raconte ce documentaire, qui se dessine au fur et à mesure. Scénarisée par Baptiste Etchegaray, Paul Frère et Julie Renault, la série suit l’épopée de Café Joyeux à travers le covid, permettant de faire connaître cette initiative, qui n’est pas une association, mais une entreprise rentable, signe qu’une véritable « inclusivité », au-delà des discours et des prises de position, est possible. « On espère que cela va interpeller, que cela va poser des questions et que les gens vont y aller. Si c’est le cas, ce sera gagné », estime Olivier Nakache, qui a voulu aussi montrer « la fragilité au cœur de nos villes dans un monde qui ne va pas bien ». « On aime bien essayer de prendre en flagrant délit notre époque », ajoute celui qui, avec Éric Toledano, travaille actuellement sur son prochain film.