La rondeur de ses contours n'empêche pas les aspérités. On l'adore ou on la déteste. Moquée pour son inélégance, elle serait l'uniforme de la France droitarde... La mini-doudoune est-elle le vêtement le plus clivant du moment ?
Elle a la légèreté d'une plume mais peut être aussi lourde qu'une horde de représentants de commerce en goguette. Ses moëlleux bourrelets évoquent les rondeurs de l’enfance, la tendre menotte d’un nouveau-né. Mais aussi, pour beaucoup, l’ultraviolence des tours de la Défense. Soit l’on ne sort jamais sans elle, soit l’on refuse, même mort, d’être vu avec elle. La mini-doudoune ne fait pas dans la demi-mesure. Serait-elle devenue le vêtement le plus clivant du moment ?
Sur les réseaux sociaux, elle hystérise les créateurs de mèmes. Avec une apogée : l’affaire Balkany, durant laquelle l’épouse de l’ancien maire de Levallois-Perret arborait une collection de mini-doudounes aussi pléthorique que le dressing d’Imelda Marcos, la femme aux 3000 chaussures. Dans une interview à Technikart, Isabelle Balkany évoquait sans fard sa «passion doudoune», visiblement sans limite : «Chez Uniqlo, tous les 15 jours, il y a des soldes, ça me permet d’en acheter de plusieurs couleurs, et je ne peux plus m’en passer. » Dans la pop culture, la mini-doudoune étend ses bras duveteux. Les terrifiants protagonistes de la série Succession sabrent leurs employés en doudoune sans manches, tout comme les « brokers » d’Industry, entre un rail de coke et une OPA hostile.
C’est comme si la doudoune – et par extension, sa version sans manches – était vendue avec un bulletin de vote. Plutôt à droite, le bulletin. Glissée entre la chemise et la veste de costume, à la fois pratique et formelle, incarnerait-elle le «en-même temps» cher à la macronie ? Pour beaucoup, elle a rejoint le même placard que le chino framboise de dentiste de Bénodet, le polo à col relevé de notaire se rêvant banquier d’affaires, ou les chaussures pointues d’agent immobilier âpre à la commission. Une image politiquement marquée, encodée dans ses racines : « L’origine de la doudoune est floue mais toutes les hypothèses conduisent à la montagne, retrace Maxime Beau, creative lead chez Heaven. Les doudounes sont sorties du territoire de l’alpinisme pour être de plus en plus associées aux sports d’hiver, par le biais de la marque Moncler (partenaire de l’équipe de France de ski olympique à l’époque) ou encore Canada Goose. Ces sports étant pratiqués par des populations aux revenus aisés, c’est peut-être là que le parallèle entre doudoune et électeur de droite est né. »
Après l'effort, le confort
Que nous dit la mini-doudoune ? Elle nous dit « sports extrêmes » (ski, alpinisme…), elle nous susurre « vêtement technique », elle nous marmotte aussi, de sa petite voix flûtée, « performance »… « La doudoune est devenue un “goodie” d’entreprise au même titre que la sacoche de sport floquée du logo de société, relève Louis Chahan, planneur stratégique chez BETC. C’est l’extension naturelle du sweatshirt floqué au nom de son école : elle devient un signe de “badge value” et de reconnaissance. Elle permet de dire, en croisant quelqu’un dans le vestiaire de sa salle de sport, si on est team BNP, Lazard ou JP Morgan. La doudoune vient signifier que l’on fait de gros horaires et que le confort est donc nécessaire. » Surtout que l’on fait de gros horaires, non ?
Suprenante mini-doudoune. Pour certains, elle serait même synonyme d’élégance. L’Italie, qui en connaît un rayon niveau style, n’est-elle pas l’une des patries doudounesques ? Lorsqu’on musarde en Lombardie, cœur économique transalpin, berceau de Fiat mais aussi de Versace ou d’Armani, l'on assiste au détour des « strade » à des éruptions de mini-doudounes. « Grâce à leur capitonnage, on peut se sentir un peu “Hermecisé”, un peu “Chanelisé”» , s’amuse Vincent Grégoire, infatigable débusqueur de tendances et directeur de création de Nelly Rodi. «Si on force le trait, la doudoune fine ou la doudoune sans manches n’est qu’un nouvel avatar, une extension de la veste matelassée Barbour ou du très bourgeois twin-set (cardigan + t-shirt en maille coordonnés)», résume Louis Chahan de BETC. La mini-doudoune connaîtrait-elle le même destin que le perfecto, au départ blouson de moto rebelle immortalisé par Marlon Brando dans L’Équipée sauvage, aujourd’hui uniforme des bourgeoises désireuses de s’encanailler, de Claire Chazal à Aurore Bergé ?
Remède universel
Les horizons de la mini-doudoune ne sont pas en réalité aussi étriqués. « Trans-sectionnelle dès sa naissance, au confluent du sport de haut niveau et du hip-hop, la doudoune est devenue résolument mainstream – notamment du fait d’une marque comme Uniqlo », resitue Dinah Sultan, senior fashion designer et trend forecaster chez Peclers Paris. « C’est Uniqlo qui a rendu le produit culturellement acceptable, le faisant passer du ridicule” au “ridicool”, abonde Vincent Grégoire. Si, au départ, le produit clivait, il est aujourd’hui culturellement neutre : un iconique. »
Révolution. La doudoune transcende les genres, les âges, les classes sociales, les origines géographiques. On la retrouve portée par les personnes âgées, sur les marchés, dans les vignes et dans les champs… « Le vêtement a évolué pour devenir beaucoup plus trans-classe qu’on ne l’imagine. C’est la doudoune de l’agent immobilier, du banquier d’affaire mais aussi celui d’un agent de sécurité ou d’un agent d’entretien, nuance Louis Chahan. Ce n’est pas un symbole démocratique pour autant – la distinction s’opère ensuite à travers la marque, le prix de ladite doudoune. Mais on peut signaler qu’il devient plus universel qu’il ne pouvait l’être auparavant, à l’instar de la polaire. »
Où s’arrêtera le rouleau compresseur mini-doudoune ? « Elle a sa place dans le vestiaire de cœur, le vestiaire du “casual”, tout près du jogging molletonné, explique Dinah Sultan. La mini-doudoune, la doudoune sans manches, ne sont pas près de disparaître, même si l’on note depuis quelques saisons un ralentissement. Elles vieillissent avec leur clientèle – au risque de devenir des produits de “boomer”. »
Pour autant, le vêtement continuerait à refléter, selon Vincent Grégoire, une aspiration beaucoup plus profonde. « On se situe dans un désir de “doudounisation” du monde, lâche le tendanceur. On se “doudounise” chez soi, avec des canapés-doudounes comme le Togo de Ligne Roset, moëlleux, très enveloppant, on a envie de tapis pelucheux, de crèmes pour le visage mousseuses et douces comme de la guimauve. » Un moyen de se lover, de résister à un monde perçu comme hostile : inflation, montée de l’extrême-droite, spectre d’un conflit ouvert contre la Russie… Face à toutes ces menaces, selon Vincent Grégoire, « la doudoune fait figure d’armure, de gilet pare-balles, de protection ». Espérons qu'elle sera assez chaude pour lutter contre les frimas ukrainiens...