Alors que s'ouvre le festival des Cannes Lions, 15 professionnels de l'écosystème français nous parlent des campagnes internationales qui les ont le plus marqués ces derniers mois.
1. « Escape from the office », TBWA Los Angeles pour Apple
Pays : États-Unis
Philippe Pinel, directeur de création de Romance
« Il s’agit du troisième épisode d’"Apple at work". On pourrait s'en lasser, et pourtant, c’est toujours aussi bien, voire de mieux en mieux. On y retrouve cette fois nos quatre "Underdogs" [perdants, outsiders] qui décident de démissionner de leur entreprise pour monter leur propre start-up. Ça dure neuf minutes et on ne se s’ennuie pas une seconde. C’est à la fois intelligent, drôle et brillamment bête. Le jeu, le montage, les dialogues, la musique : tout est parfait ! Ça prouve aussi que les démonstrations-produits peuvent participer à l’histoire plutôt que de nous en faire sortir. Et ça montre aussi que l'on peut développer des personnages dignes d’une série tout en conservant une écriture très publicitaire. On s’attache tellement à ces personnages dans ce film qu'on a hâte de voir le suivant et de dire aux collègues : "Hé ! Y a un nouveau « Apple at work » qui est sorti !". En attendant, ça donne envie de revoir les épisodes précédents. »
2. « When Harry met Santa », POL Oslo pour Posten
Pays : Norvège
Mélanie Pennec, directrice de la création de DDB Paris
« Imaginez une publicité de Noël pour la Poste norvégienne. Mettez-y tous les ingrédients d’une publicité de Noël : de la neige évidemment (on est quand même en Norvège), une chorale d’enfants bien coiffés, des repas de famille où l’on se marre, un sapin décoré, et puis bien sûr le Père Noël. Mélangez, vous obtenez un film, évidemment de quatre minutes, évidemment parfaitement réalisé. Et alors là, vous vous dites que je fais un hors-sujet niveau originalité. Sauf que voici le petit miracle de Noël 2021 : on peut faire du neuf, du surprenant, du "whaaaat ?" avec ces bases on ne peut plus classiques. Pour les plus pressés, avancez la vidéo à 3:12, et vous aussi dites-vous que l’an prochain, vous ajouteriez bien "brief pour la Poste norvégienne" à votre liste au Père Noël. »
3. « Equal Pay Day - 24 mars 2022 », Mortierbrigade pour Equal Pay Day
Pays : Belgique
Paul Marty, directeur de la création de Herezie
« Cette campagne est un ovni. On y voit des femmes pratiquer différents sports et ce, alors qu’elles sont toujours rattachées à leurs enfants, devenus adolescents, par le cordon ombilical. C’est une idée qui ne ressemble à aucune autre. Cette campagne est bizarrement, magnifiquement gênante. Et c’est ce qui en fait toute la beauté. C’est agréable de voir des cerveaux créatifs trouver des solutions différentes pour sensibiliser aux questions de genre. Et c’est ce que fait très bien l’agence belge Mortierbrigade. Ils ont leur propre patte et manient parfaitement cet exercice par le cynisme et l’humour noir. Cette campagne est d’ailleurs leur second film réalisé dans le cadre de la journée "Equal Pay Day", en faveur de l’égalité salariale, et le premier était tout aussi génial. »
4. « Beyond the surface », Havas Middle East pour Adidas
Pays : Émirats Arabes Unis
Fabrice Plazolles, directeur de la création de Havas Play
« J’ai eu un véritable coup de cœur pour ce film. Déjà récompensé par un Dubai Lynx, il est magnifique dans la forme et le fond. Il s’inscrit dans la démarche globale d’Adidas au Moyen-Orient, qui vise à accélérer l’émancipation des femmes dans cette région. En célébrant le pouvoir de l’eau comme élément qui nous affranchit de toutes les contraintes, ce film est une véritable ode à la liberté. Il est puissant et arrive dans un contexte où 32 % des femmes ne se sentent pas à l’aise quand elles nagent en public. Un chiffre qui monte à 88 % au Moyen-Orient. Cette gêne est souvent due au fait que les maillots et autres tenues ne sont pas adaptées aux besoins et aux envies des femmes. Adidas cherche donc à faire évoluer les mentalités en proposant une démarche globale autour de cette thématique. »
5. « The Lost Class », Leo Burnett Chicago pour Change The Ref
Pays : États-Unis
Antoinette Beatson, executive creative director de BETC
« C'est une campagne très smart, un vrai détournement. Ce qui ressemble à un speech pro-armes donné par David Keene, l’ancien président de la NRA, et John Lott, auteur de l'ouvrage More Guns, Less Crime, lors d’un student graduation aux États-Unis, se transforme, à leur insu, en un constat d’échec très visuel et choquant tandis que la caméra découvre les interminables rangées de chaises blanches vides. Cette campagne déjà couverte d’awards devrait avoir un accueil encore plus chaleureux parmi les jurés à Cannes alors que le sujet est malheureusement revenu sur le devant de la scène depuis le 24 mai [jour de la fusillade qui a tué 21 personnes dans une école primaire d’Uvalde, au Texas]. »
6. « Open Spaces », Megaforce et Riff Raff Films pour Burberry
Pays : Royaume-Uni
Perrine Lizé, directrice générale et directrice de création de MNSTR
« Fin 2021, Burberry a sorti son film ovni "Open Spaces". Je crois qu’il est arrivé à un moment où nous avions tous un besoin immense d’évasion, de fantaisie et de pleine nature. Le film met en image la citation de Thomas Burberry : "La liberté est inhérente à chaque pièce Burberry". Ici, les vêtements et l’emblématique trench Burberry deviennent de vrais compagnons pour les quatre héros prêts à explorer de nouveaux horizons. Le duo de réalisateurs Megaforce et la puissante chorégraphie signée La Horde (compagnie à la tête du Ballet National de Marseille) nous emmènent sans un mot, et avec un courant d’air comme point de départ, avec les quatre protagonistes, de paysage en paysage. L’étreinte finale en apesanteur est comme une invitation à les rejoindre dans leur câlin géant. Leur précédent film sur "Singing in the rain" dans une rue londonienne nous avait déjà émerveillés, ils réitèrent avec excellence. »
Olivier Altmann, cofondateur d’Altmann+Pacreau
« Après avoir mis en avant la pluie sur une version modernisée de "Singing in the rain", je trouve que ce deuxième volet, construit autour du vent, va encore plus loin en termes d’exécution. Avec ce film, Burberry réussit à rajeunir sa cible tout en réveillant son ADN [la gabardine pour affronter les intempéries] de façon ultra-moderne. Le film nous transporte dans une émotion insensée avec ce rêve universel de pouvoir voler, être libre dans des mouvements aériens, sur une musique d’une incroyable originalité. Sans en parler, la marque se pare même de valeurs écologiques avec la campagne anglaise environnante et de valeurs de solidarité avec le groupe enlacé à la fin. Le film n’a pas besoin de signature redondante car tout est induit. Il fait appel au ressenti et à l’intelligence des gens. »
7. L’épisode « The Simpsons – Balenciaga », Gracie films pour Balenciaga
Pays : États-Unis
Dimitri Guerassimov, CEO de VMLY&R
« Voilà ce qu'il se passe quand se rencontrent deux cultures créatives et libres d'esprit, deux icônes de la pop culture : la naissance d'une histoire qui jette un pont entre fiction et réalité, et d'un objet créatif unique, capable de se connecter aux audiences aux quatre coins de la planète. Entre Burberry, Jacquemus, Balenciaga et quelques autres, c'est une leçon de fraîcheur que nous donne aujourd'hui la fashion. »
8. « Moins de blabla, plus de Bitcoin », Coinbase
Pays : États-Unis
Arthur Kannas, cofondateur de Heaven
« 2022, c’est l’année des cryptomonnaies et de leur assaut vers le grand public. Le Super Bowl 2022, cette arène de la démonstration de force publicitaire, a donc été le théâtre de cet assaut coordonné, dont le discours commun tournait autour des perspectives de gains. Entre l’excellent Larry David pour FTX ("Ça ne marchera jamais") et Matt Damon pour Crypto.com ("La chance sourit aux audacieux"), s’est glissée la radicalité créative de Coinbase et de son désormais célèbre QR Code rebondissant. L’audace de cette prise de parole se mesure à plusieurs niveaux : utiliser l’espace publicitaire le plus cher du monde pour une des publicités les moins chères, la référence au logo DVD ancré chez tous les 35-50 ans, et surtout un spot qui génère automatiquement de l’engagement puisque ceux qui parvenaient à "screenshoter" le QR code pouvaient espérer des cryptos gratuites. C’est le hack publicitaire du Super Bowl. À mon sens, c’est la pub engageante et conversationnelle de l’année, d’autant que la conversation s’est naturellement poursuivie à la suite du crash du site, qui n’a pu résister aux nombreuses connexions. »
9. « Rejected Ales », Howatson+Company pour Matilda Bay
Pays : Australie
Adrien Mancel, directeur de création chez Wunderman Thompson
« Le brasseur australien Matilda Bay a créé une gamme avec les bières refusées par son maître brasseur, soit 27 bières proches de la perfection, mais pas assez pour devenir le produit phare de la marque. À première vue, ça peut sembler absurde de commercialiser des produits non finis mais en fait, c’est une idée fraîche qui prouve que le produit final est le résultat d’un long processus de sélection. Matilda Bay et son agence ont réussi à inventer la démonstration produit sans produit, en disant : ma bière est parfaite, goûtez donc ces 27 bières de brouillon pour vous en rendre compte ! Visuellement, la direction artistique est soignée. Et surtout, le storytelling est affûté, à commencer par les noms des bières refusées comme "Yeah… nah", "Keep dreaming", "Good, but"… »
10. « Samsung iTest », DDB Group Aotearoa NZ pour Samsung
Pays : Nouvelle-Zélande
Cécile Bitoun, directrice générale d’Isobar
« Samsung s’invite chez son concurrent Apple en créant une application pour iPhone qui transforme le système d’exploitation iOS en interface Android, comme sur les appareils Galaxy de Samsung. Ce qui rend cette campagne différente des autres est l’utilisation de la technologie au service de l’idée pour un hack intelligent, qui permet à la marque de faire vivre une expérience publicitaire par l’usage. Le combat de l’usage est clé, en particulier pour convertir des fidèles d’Apple. Ce hack est une démonstration produit d’un genre nouveau, qui rend accessible, avec une apparente simplicité, ce qui aurait dû être compliqué à mettre en œuvre. Enfin, l’efficacité de cette campagne est évidente : l’application Samsung iTest a éveillé la curiosité des internautes et a été téléchargée plus de 10 millions de fois dans le monde ! »
11. « Toll Booth », FCB Aotearoa pour Waka Kotahi NZ Transport Agency
Pays : Nouvelle-Zélande
Aurélie Scalabre, directrice de création chez BETC
« Un père et ses deux enfants s’amusent dans un paysage naturel magnifique. Une fois en voiture, ils se retrouvent face à une guérite, sur une route désertique, au milieu de nulle part. Il s’agit du péage de la mort. Tout dans ce film est fascinant : le décor avec ses roches et ses cieux chargés, le montage laissant entrevoir des bribes subtiles de bonheur partagé, la musique singulière, la phrase prononcée par le fils telle une prophétie avec en simultané l’apparition d’une silhouette énigmatique et, enfin, le personnage dans la guérite du péage. On est loin des castings lisses et des narrations habituelles. L’usage du surréalisme sert très bien ce sujet : quoi de plus surprenant que la mort qui surgit sur la route alors que tout semble si calme ? J’aime ce film étrange, je le trouve "fantastiquement" réussi alors que le sujet est difficile. »
12. « The Anti Narco-Corridos », Publicis Mexico pour Reporteros sin Fronteras (RSF)
Pays : Mexique
Marco Venturelli, chief creative officer de Publicis France
« Je trouve l’idée de cette campagne incroyable. Pour la première fois, elle utilise le style musical très populaire au Mexique, le "narcocorrido" [un genre musical mexicain qui célèbre les barons de la drogue], dans le but de mettre en avant les véritables héros du pays : les journalistes. Pourquoi chanter les exploits des narcotrafiquants qui ne vivent que d’activités illégales et de violences ? Il était temps de bousculer les choses et de mettre en lumière les journalistes qui vivent au péril de leur vie dans ce système dangereux. Au-delà du message fort que la campagne fait passer, il y a un deuxième message que je trouve aussi touchant, celui de la chanteuse engagée Vivir Quintana. C’est la première fois qu’une femme chante un corrido et c’est certainement ce qui rend la campagne encore plus incroyable ! »
13. « Camping », DDB Chicago pour Twix
Pays : États-Unis
Céline Mornet-Landa, directrice de création à Sid Lee
« Deux jumeaux discutent, devant leurs tentes identiques, du "croquant" d’un Twix dont ils s’apprêtent à se partager les deux barres chocolatées. La caméra passe derrière eux et une voix féminine suggère la même chose à propos des jumeaux. Surprise : il ne s’agit nullement d’une femme mais d’un ours s’adressant à un congénère. Ce film de 30 secondes est efficace et bien écrit. Il n’y aurait pas eu besoin de surenchère ni de 15 secondes de plus. C’est l'une des meilleures façons de juger la force d’une idée. »
14. « Uber Don't Eats », Special Group pour Uber Eats
Pays : États-Unis
Stéphane Gaubert, executive creative director de Havas Paris
« Pour le Super Bowl, Uber Eats a régalé les téléspectateurs avec une mise en image loufoque et absurde de sa brand stretching : l’application sert aussi à livrer des produits du quotidien non comestibles. Dans ce film, Gwyneth Paltrow, Jennifer Coolidge, Trevor Noah ou encore Nicholas Braun se gavent de produits de toutes sortes : éponge, bougie, couche pour bébé, ampoule… C’est drôle et frais ! Je dois dire que ça fait du bien de voir des films où l'on se marre. Nous sommes dans une époque, un moment de communication, où les marques sont de plus en plus sérieuses, désireuses de se donner du sens et de faire valoir leur engagement pour le monde. C'est très bien et nécessaire, mais on a perdu de la légèreté dans notre métier de publicitaire. Alors oui, après deux années de pandémie, je mets cette campagne à l'honneur et flaire un gold à Cannes. »
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