«Les commentaires d'articles dans les médias en ligne sont infestés de propos racistes, homophobes et sexistes...» Cette phrase aurait pu être tenue par toutes les rédactions Web en France, où il est de bon ton de penser que les commentaires sont plus nuisibles qu'utiles. Pourtant, c'est le community manager du New York Times qui a tenu ces propos... et enchaîné en expliquant que cela reste le meilleur moyen de savoir ce que les lecteurs pensent du sujet traité! Mieux, la grande majorité des rédactions Web du monde pensent qu'il ne tient qu'à eux de tirer la qualité des commentaires vers le haut. En résumé: le meilleur reste à venir!
C'est ce qu'il ressort de l'excellente étude de l'Association mondiale des journaux et des éditeurs de médias d'information (WAN IFRA). Elle a interrogé 104 éditeurs (dont Le Monde) dans 63 pays et 5 continents, sur leur perception du Web participatif. Tous déplorent qu'il faille modérer les lecteurs les plus extrêmes. Mais c'est plutôt l'enthousiasme qui prédomine, considérant que ces opinions extrêmes sont le fait d'une minorité et que l'on trouve dans les commentaires une quantité appréciable d'informations utiles. Pour citer Die Zeit, en Allemagne: «Sous chaque article, il y a au moins un lecteur qui posera la bonne question ou le point que l'article ne traite pas alors qu'il aurait dû.»
Reste à identifier les commentaires pertinents de ceux qui n'ont qu'un intérêt limité. Et à accroître leur proportion. L'étude du WAN IFRA révèle les nombreuses initiatives menées de ça et là partout dans le monde. Voici trois enseignements que l'on peut en tirer.
1. Recentrer les échanges sur un sujet précis. Chaque thème d'actualité peut se diviser en sous thèmes. Par exemple sur les Roms, on peut évoquer: leur capacité d'intégration, les nuisances des camps, les aides de l'UE pour leur retour,... Un article aborde souvent un sujet sous plusieurs angles. Difficile alors d'obtenir un débat constructif si les uns et les autres commentent un angle différent, les commentaires s'empilant sans ordre logique. Résultat : un grand bazar inaudible. Pour le Washington Post, ce que l'on obtient, « c'est un grand nombre de conversations sur différents sujets chauds de l'actualité, mais pas toujours cette réponse intelligible que l'on est en droit d'espérer ». Pourquoi ne pas centrer d'emblée les échanges sur une thématique particulière ? Par exemple, en posant une question précise aux lecteurs à la fin de chaque article.
2. Intervenir dans les fils de discussion. «Les conversations les plus pertinentes sont celles auxquelles nous participons. Nous essayons donc de le faire aussi souvent que possible» (Der Standard - Autriche). Ou encore: «La règle est simple, dès qu'on participe, la qualité de la conversation monte en flèche» (O Globo - Brésil). La conversation est soudainement plus constructive, d'une part parce que les "trolls" se font plus timides mais aussi parce que les lecteurs les mieux informés ont une occasion d'échanger avec leurs journalistes préférés. Néanmoins, ces derniers ne sont pas toujours à l'aise pour dialoguer avec leur lectorat ou manquent tout simplement de temps. Mais les mentalités changent peu à peu à ce sujet.
3. Changer le format! 50, 100... parfois plus de 1000 commentaires les uns sous les autres par ordre chronologique. Pourquoi diable faudrait-il garder les files de commentaires sous cette forme? Cela ne peut que noyer les bons commentaires sous les autres et dissuader les bons auteurs de prendre du temps pour donner leur point de vue. Car l'ego est un des moteurs principaux du commentaire. On souhaite être vu, lu et si possible remarqué par le plus grand nombre. Graal suprême: voir son commentaire repris par la rédaction. Une réflexion porte donc sur le format. Le magazine américain Quartz n'a pas de commentaires mais des ... annotations! Qui apparaissent sur le coté de chaque paragraphe d'article. Les lecteurs ne commentent plus un article mais une idée ou une information, développée dans un paragraphe spécifique.
Ce ne sont que trois exemples parmi les nombreuses autres initiatives menées partout dans le monde. Mais toutes sont teintées de beaucoup de positivisme et d'une certitude commune: demain, la part du participatif dans les médias sera encore plus prépondérante. Les commentaires représentent une formidable opportunité, dès lors qu'on apprend à les valoriser et les intégrer harmonieusement au sein de la publication. Le mot de la fin pour le Wall Street Journal: «Nos lecteurs débordent d'énergie et ont l'œil pour distinguer les forces et faiblesses des contenus qu'on leur propose. Cela fait de nous de meilleurs journalistes et nos Rédactions sont bien plus ancrées dans le monde d'aujourd'hui.» A l'évidence, les commentaires de presse ont un bel avenir.